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Compte rendu de la revue Moyen-Orient, « France, le retour d’une ’’politique arabe" ? », avril-juin 2017

Par Oriane Huchon
Publié le 12/04/2017 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 8 minutes

A travers l’analyse de leurs articles, nous présenterons tout d’abord l’héritage colonial de la France au Maghreb et au Proche-Orient, précédent historique qui marque le point de départ des relations de la France avec les pays arabes à l’époque contemporaine. Ensuite, nous parlerons des relations de défense que la France entretient avec les pays du Golfe, partenariats stratégiques devenus centraux dans la diplomatie française régionale. Puis, nous verrons que la diplomatie culturelle française joue aussi un rôle important dans la politique arabe de la France. Enfin, nous verrons à travers l’échec de la résolution du conflit israélo-palestinien que les succès culturels et stratégiques n’empêchent pas la France d’échouer diplomatiquement.

L’héritage d’un passé colonial au Maghreb et au Proche-Orient

Les colonies françaises en Méditerranée

Le dossier commence par donner quelques éléments historiques sur la présence française en Méditerranée méridionale et orientale. La présence française sur les rives Sud et Est de la Méditerranée débute avec la campagne d’Egypte de Napoléon Bonaparte (1798-1801), qui se solde par un échec relatif. L’Algérie est conquise en 1830 et obtient un statut particulier : les départements d’Oran, d’Alger et de Constantine sont pleinement français. Dans le désert algérien, la France teste ses capacités nucléaires. La Tunisie et le Maroc deviennent des protectorats en 1881 et 1912. De plus, la France administre le Fezzan libyen de 1943 à 1951. En 1920 enfin, les mandats en Syrie et au Liban légitiment la présence de la France au Proche-Orient. Pierre Vermeren, professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, affirme que la France était alors une « puissance musulmane » : elle administrait dans l’entre-deux-guerres entre 20 et 25 millions de musulmans, et 70 000 musulmans étaient morts pour la France au cours de la Première Guerre mondiale.

Des relations différenciées avec les anciennes colonies

Les relations que la France entretient aujourd’hui avec ses anciennes colonies dépendent des conditions dans lesquelles la décolonisation s’est déroulée. Alors que l’Algérie et la France se sont toutes deux construites dans un rapport conflictuel (c’est sur les cendres de la guerre d’Algérie que sont nés le nationalisme algérien, toujours très fort aujourd’hui, et la Ve République française) qui perdure aujourd’hui, le Maroc et la Tunisie sont devenus deux alliés proches de la France.

En 2015, c’est avec le Maroc que la France entretient les relations les plus poussées de la région, que ce soit en termes de ressortissants français vivant sur place (51 109), d’investissements directs à l’étranger (9,278 milliards d’euros), d’aide publique au développement (253,27 millions de dollars) ou encore d’importance du réseau diplomatique, consulaire et culturel. Ces excellentes relations avec le Maroc constituent une autre source de tension entre la France et l’Algérie, notamment parce que la France soutient la position marocaine sur la question du Sahara Occidental.

Avec la Tunisie, la France entretient de bonnes relations, qui tendent à se renforcer. Malgré une incompréhension majeure de la part du Quai d’Orsay et de l’Elysée des premiers instants de la révolution tunisienne de 2010-2011, la relation bilatérale est aujourd’hui sous de bons auspices, comme l’illustre la participation active de la France à la conférence « Tunisia 2020 ». Les ambitions économiques et culturelles partagées et le passé commun sont le ciment de cette relation privilégiée.

La France et sa population maghrébine

En raison de ce passé commun avec le Maghreb, la France est aujourd’hui le pays européen avec la plus forte concentration de Maghrébins vivant sur son sol. Foued Nasri, docteur en science politique et chercheur associé au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, consacre à ce titre un article sur l’histoire de l’engagement politique de la communauté maghrébine à Lyon et dans la banlieue lyonnaise. A travers l’émergence de groupes militants et l’organisation d’événements visant à faire reconnaître l’existence de cette communauté dans les années 1980/1990, la France a pris conscience de sa multiculturalité et de sa multi-confessionnalité (l’islam étant devenu la deuxième religion de France). Cette prise de conscience a suscité un important rejet de la part d’une portion de la population française, qui cristallise désormais ses peurs autour de la communauté musulmane de France. L’article d’Alexandrine Barontini, maître de conférences en arabe marocain à l’INALCO, sur l’enseignement de l’arabe en France illustre bien cette problématique. Associé à l’islam et au « communautarisme » arabe devenu une « menace à la nation » française, les tentatives politiques de diffuser l’enseignement des langues vivantes dans l’enseignement primaire et secondaire, et donc de la langue arabe, provoquent des polémiques houleuses et empreintes de xénophobie, d’amalgame, de suspicion et d’incompréhension.

Les relations de défense

Comme l’expliquent Philippe Boulanger et Renaud Bellais dans leur article « Les pays arabes, meilleurs amis de la France et de son industrie d’armement ? », le quinquennat de François Hollande a été marqué par une importante hausse des exportations d’armement à destination des pays du Golfe. De plus, nous informe Jean-Loup Saaman (professeur associé au Collège de défense nationale des Emirats arabes unis), depuis 2009 la France dispose d’une base militaire à Abu Dhabi. Sur la base française se trouve Alindien, l’état-major interarmées du commandement militaire français de la zone maritime de l’océan indien. Ces deux éléments illustrent la forte relation qui lie la France avec les pays du Golfe.

En matière de défense et de géostratégie, la politique arabe de la France est relancée depuis le début des années 2000. Les partenariats entre la France et les Etats de la région sont renforcés, notamment dans l’armement. Le Moyen-Orient est une des régions du monde où les gouvernements consacrent une part importante du PIB aux dépenses de défense, tendance renforcée depuis les révoltes arabes de 2011 qui ont accentué l’insécurité. Depuis les attentats sur le sol métropolitain, la France se trouve de plus dans une « convergence d’intérêts géopolitiques au-delà des postures diplomatiques traditionnelles » avec les pays du Golfe. En effet, la coopération en matière de lutte antiterroriste est centrale aujourd’hui dans ces relations bilatérales. Enfin, la France a bénéficié de la main tendue de Washington vers Téhéran, largement critiquée par les monarchies sunnites du Golfe. L’attitude ferme de la France vis-à-vis de l’Iran a au contraire été appréciée. Tous ces facteurs ont permis le rapprochement sensible entre la France et certains pays, notamment l’Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats arabes unis.

La signature de gros contrats aéronautiques (24 Rafale achetés par l’Egypte en janvier 2015 et 24 autres par le Qatar) et les différentes commandes dans le secteur de l’armement permettent à l’industrie de défense française d’être florissante, à l’heure où les commandes nationales ne suffisent plus. Mais comme le soulignent les auteurs, cette relation forte dans le domaine de l’armement tend à devenir une relation de dépendance. La région Moyen-Orient a pris de plus en plus d’importance dans les exportations françaises d’armement (jusqu’à 43% en 2015), alors que les achats sont dictés par les cours volatiles des hydrocarbures. De plus, le retour des Etats-Unis et de leurs entreprises à la stratégie très agressive dans les bonnes grâces des Etats du Golfe amènerait systématiquement la France à perdre des parts de marché durement acquises. Enfin, les ventes de matériel de défense sont accompagnées de transferts de technologie qui peuvent conduire à terme au développement d’une industrie de défense locale qui se substituerait aux importations de matériel français.

L’implantation des Français dans une base militaire à Port Zayed (Abu Dhabi) leur permet de prendre pleinement part aux problématiques régionales et du Moyen-Orient. A la fois base arrière de l’opération « Chammal », à proximité de l’Inde (la France souhaite se rapprocher de l’Inde dans les années à venir), assez proche du Yémen pour pouvoir suivre la situation sur place de près, proche de l’Iran, et assez proche de la corne de l’Afrique pour prendre part aux actions antipiraterie, l’emplacement de la base est idéal. Les fonctions allouées à Alindien « témoignent du rôle majeur, et parfois méconnu, que la France entend jouer dans l’architecture de sécurité de la région ».

Le soft power culturel

Dans un entretien avec Alexandre Kazerouni, chercheur à l’Ecole normale supérieure et politologue spécialisé sur le monde musulman contemporain, la diplomatie culturelle française au Moyen-Orient est détaillée. Les enjeux de celle-ci sont essentiellement de « compenser ses faiblesses à la fois militaires et économiques vis-à-vis des puissances occidentales concurrentes que sont les Etats-Unis et le Royaume-Uni » dans la région d’une part, et d’autre part de « trouver des pays musulmans qui acceptent de légitimer le point de vue français sur l’islam en le mettant en scène sur leur territoire à travers des projets culturels à fort rayonnement international qu’ils peuvent eux-mêmes financer ».

Les deux éléments majeurs de cette diplomatie culturelle sont la Sorbonne et le Louvre Abu Dhabi. Mais ce ne sont pas les seuls. Pour les Etats de la région, ces initiatives sont également profitables : « la multiplication des contrats de prestation de services dans le domaine culturel au sens large, de l’université au sport en passant par le musée, permet la redistribution de l’argent des rentes pétrolière d’Abu Dhabi et gazière du Qatar en dehors des secteurs traditionnels que sont l’armement et les hydrocarbures ». Le souhait des monarchies du Golfe d’investir dans la construction de musées leur permet aussi d’inventer une idée nationale partagée.

L’échec de la diplomatie française sur la question palestinienne

Le dernier article du dossier est consacré à l’échec diplomatique et à la marginalisation de la France sur la question israélo-palestinienne. L’auteur Nicolas Dot-Pouillard, chercheur au sein du programme WAFAW (When Authoritaianism Fails in the Arab World) du Conseil européen de la recherche, se demande si l’heure n’est pas venue de la fin d’une politique française au Proche-Orient.

En 2016, la France a lancé une Initiative française pour la paix au Proche Orient, suivie en janvier 2017 d’une Conférence internationale pour la paix au Proche-Orient. Mais ni les Israéliens ni les Palestiniens n’ont fait le déplacement. Lors de la Conférence de janvier 2017, la France a réaffirmé « solennellement l’attachement de la communauté internationale à la solution des deux Etats, Israël et la Palestine, vivant côte à côte en paix et en sécurité ». Mais cette conférence arrive trop tard, alors qu’à la fois les Palestiniens et les Israéliens se sont éloignés de Paris.

Avec les Palestiniens, les relations traversent une crise de confiance depuis le mandat de Nicolas Sarkozy, aggravée depuis la guerre israélo-palestinienne de 2014. François Hollande avait alors affirmé dans un communiqué sa solidarité totale avec Israël, sans mentionner les pertes civiles du côté palestinien. Divers autres événements ont entaché ces relations. De manière générale, la France est perçue par les Palestiniens comme fondamentalement pro-israélienne, surtout depuis les présidences de Nicolas Sarkozy et de François Hollande (Jacques Chirac a mené une politique plutôt pro-palestinienne). Les Palestiniens ne se retrouvent pas dans la solution de paix proposée par la France aujourd’hui, et souhaiteraient que celle-ci se fasse l’avocate du boycott des produits israéliens.

Malgré ces dissentions avec les Palestiniens, les relations entre la France et Israël ne sont pas bonnes. Les Israéliens ont vivement critiqué le vote de novembre 2012 en faveur du statut d’Etat observateur non membre de la Palestine aux Nations unies. Tel-Aviv adopte une politique de petites vexations à l’égard de la France.

Finalement, la situation de la France vis-à-vis de la question israélo-palestinienne trouve un écho à la situation de la France vis-à-vis de la Syrie, et dans la région de manière générale. A mener des actions diplomatiques ayant peu de chances d’aboutir, la France perd du terrain dans la région face à des Etats comme la Russie, qui adoptent une politique plus pragmatique. Ainsi, « alors que Paris organise sa Conférence pour la paix du 15 janvier 2017, la Russie accueille le même jour, à Moscou, l’ensemble des factions palestiniennes, du Fatah au Hamas, en passant par le FPLP et le FDLP, pour une réunion de conciliation inter palestinienne ». Dans le même temps, la Russie entretient de bonnes relations économiques et politiques avec Israël. Nicolas Dot-Pouillard conclut ainsi son article : « Comme en Syrie, l’année 2017 pourrait bien consacrer une nouvelle étape dans la marginalisation de la France indécise ».

Publié le 12/04/2017


Oriane Huchon est diplômée d’une double licence histoire-anglais de la Sorbonne, d’un master de géopolitique de l’Université Paris 1 et de l’École normale supérieure. Elle étudie actuellement l’arabe littéral et syro-libanais à l’I.N.A.L.C.O. Son stage de fin d’études dans une mission militaire à l’étranger lui a permis de mener des travaux de recherche sur les questions d’armement et sur les enjeux français à l’étranger.


 


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