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Jean-Paul Chagnollaud, Quelques idées simples sur l’Orient compliqué

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 30/09/2010 • modifié le 25/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Le retour à l’histoire permet de comprendre l’actualité de cette région, en particulier comment la création des Etats arabes issus des provinces de l’Empire ottoman a modelé le Moyen-Orient actuel. Les tractations entre les Britanniques et le chérif Hussein de La Mecque aboutissent en 1915 à des promesses de partage territorial (correspondance Hussein-MacMahon) ; celles de 1916 entre les Britanniques et les Français aboutissent au partage de la région par les accords Sykes-Picot, qui ne tiennent pas compte des promesses faites au chérif Hussein de La Mecque. En 1917, la déclaration Balfour met en place un foyer national juif en Palestine. A la fin de la Première Guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne, puissances victorieuses, modèlent la région lors de la conférence de la paix : « elles ont ainsi, en quelques mois, scellé le destin des peuples de cette région pour des générations sans que ceux-ci n’aient jamais eu la moindre prise sur ces choix absolument déterminants même si leurs représentants ont pu exprimer leurs souhaits à la conférence de la paix à Paris en 1919 ». Les mandats sont attribués en 1922 par la Société des Nations à la France sur la Syrie et le Liban et à la Grande-Bretagne sur l’Irak, la Palestine et la Transjordanie. Ces décisions sont prises alors que les peuples de la région font connaître leurs revendications territoriales à la conférence de la paix. Ainsi se dessine la nouvelle carte du Moyen-Orient : « Des territoires contrôlés par l’Empire ottoman depuis des siècles émerge un nouveau découpage de l’espace désormais dominé par les vainqueurs ». Français et Britanniques organisent alors leurs mandats.

Néanmoins, « la conférence de la paix (…) a laissé deux peuples dans Etat. Des dizaines d’années plus tard, les conséquences de ces décisions continuent de déstabiliser profondément la région tout entière ». Ces deux peuples sont les Palestiniens et les Kurdes, les premiers étant toujours à la recherche d’un « toit politique », et les seconds étant « dispersés sur le territoire de quatre Etats ». Les grands tournants historiques auxquels les Palestiniens ont été confrontés : mandat britannique, plan de partage de 1948 et premier conflit israélo-arabe, guerre des six jours et ses conséquences, accords d’Oslo du 13 septembre 1993, retrait de Gaza par l’armée et les colons israéliens à l’été 2005, sont analysés par Jean-Paul Chagnollaud au regard de l’objectif final qui est la recherche de la paix. Quant aux Kurdes, « les oubliés de l’Histoire », l’auteur rappelle les raisons historiques pour lesquelles ils n’ont pas eu d’Etat : « Pendant un très court moment de leur histoire, les Kurdes ont pu croire qu’ils pourraient avoir un Etat. (…) Le puissant sursaut nationaliste turc suscité par Mustafa Kemal en a décidé autrement (…). Depuis, il n’a jamais été question de la création d’un Etat kurde pour une raison simple : le territoire sur lequel le peuple kurde a toujours vécu correspond à celui que se sont partagés quatre Etats, la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran ». Sont ainsi rappelés les relations historiques et actuelles des Kurdes avec la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie.

Jean-Paul Chagnollaud traite également des régimes politiques du Moyen-Orient, dans le chapitre « Autoritarisme et démocratie ». A l’inverse de l’évolution politique de plusieurs Etats en Europe et en Amérique latine dans les années 1990, le Moyen-Orient est « resté fidèle à lui-même, figé dans des carcans autoritaires verrouillés par des leaders qui exercent ou ont exercé un pouvoir sans partage pendant des décennies ». Deux concepts permettent d’analyser le fonctionnement de ces régimes politiques : l’appartenance tribale et l’asabiyya (qui peut avoir comme traduction l’esprit tribal). Ensuite, « il reste à établir une typologie des régimes de la région avant de reprendre ces concepts dans des configurations politiques et sociales bien déterminées ». Plusieurs régimes sont ainsi étudiés : les monarchies et asabiyya traditionnelles (en Arabie Saoudite, au Koweït, à Bahreïn, au Qatar, à Abou Dhabi, à Dubaï et à Oman) ; les républiques autoritaires (Irak de Saddam Hussein, Syrie de Hafez al-Assad) ; les démocraties inachevées (Israël, Palestine, Liban).

La question de l’« Islamisme politique » est également analysée. Jean-Paul Chagnollaud explique que cette question est « depuis des années déjà, (…) au cœur de multiples débats », et que « cette tendance à stigmatiser l’islamisme et plus largement l’islam s’est encore alourdie depuis le 11 septembre 2001, l’invasion américaine de l’Irak et le pourrissement du conflit israélo-palestinien ». Afin de décrypter ce qu’est l’islamisme politique, l’auteur fait un retour par l’histoire pour comprendre comment les mouvements islamistes ont été créés. Dans ce contexte, l’association égyptienne des Frères musulmans est traitée - car plusieurs mouvements islamistes sunnites s’en réclament - ainsi que l’évolution politique de l’Egypte, de Nasser au président Moubarak. L’implantation des Frères musulmans en Jordanie, en Palestine, au Liban et en Syrie est également étudiée, et de façon plus spécifique, le Hamas dans les Territoires palestiniens, et le Hezbollah au Liban.

La complexité de la région est encore renforcée par les « ingérences extérieures », qui ne sont au demeurant pas nouvelles, puisqu’elles ont commencé dès l’Empire ottoman. Plusieurs puissances sont les acteurs de ces ingérences, même si leur influence a évolué au cours de l’histoire : « La seule différence entre le début du siècle dernier et la période plus récente tient à l’identité des principaux acteurs de ces ingérences : Paris et Londres autrefois centres de pouvoirs incontournables ont cédé la place à Washington et, pour un temps, à Moscou qui voudrait bien actuellement retrouver la place qui fut naguère la sienne, du temps de l’URSS mais aussi des tsars ». Les interventions étrangères ont déstabilisé le Moyen-Orient, comme en témoigne l’intervention américaine à la suite de l’invasion du Koweït par Saddam Hussein le 2 août 1990, « l’ingérence des Etats-Unis (ayant) pris des formes extrêmes en rompant les fragiles équilibres qui avaient pu exister jusque là et où ce pays s’est lancé dans une politique unilatérale liée à sa nouvelle doctrine stratégique ». Cette politique rompt en effet l’équilibre régional qui prévalait pendant la guerre froide. Au cours de la présidence de George W. Bush, l’ingérence américaine se poursuit, notamment en Irak. De même, le Liban, de par son histoire et sa diversité communautaire, est au cœur des interventions étrangères, tant internationales que régionales. Enfin, et de manière paradoxale, « s’il existe (…) des formes d’ingérence qui brillent par leur absence, l’Union européenne en est un bon exemple ». C’est notamment visible dans le dossier du processus de paix, ainsi que dans celui de l’Irak : « La faiblesse de l’Union européenne est apparue de manière encore plus patente puisqu’elle a été incapable d’avoir la moindre position commune, écartelée entre les politiques s’opposant à la guerre avec la France et l’Allemagne et celles qui, au contraire, la soutenaient avec l’Espagne et la Grande-Bretagne ».

Cet ouvrage, documenté et structuré, rédigé dans un style très clair, permet ainsi de comprendre que les « dynamiques géopolitiques » du Moyen-Orient trouvent leurs racines dans les événements du passé.

Jean-Paul Chagnollaud, Quelques idées simples sur l’Orient compliqué, Paris, Ellipses, 2008, 144 pages.

Publié le 30/09/2010


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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