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L’Iran et l’Organisation de Coopération de Shanghaï : une porte à moitié ouverte ? (1/2)

Par Michel Makinsky
Publié le 28/07/2016 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 9 minutes

Michel Makinsky

Le 24 juin 2016, Mohammad Javad Zarif quitte le sommet de l’Organisation de Coopération de Tashkent en cours d’achèvement. Manifestement, le ministre iranien des Affaires étrangères n’est pas content. Les rumeurs se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux : il aurait voulu manifester une vive contrariété devant l’échec (provisoire ?) de la mise en œuvre de l’adhésion à part entière de la République Islamique jusqu’ici sous simple statut d’observateur. Ebrahim Rahimpour, vice-ministre chargé des affaires de la zone Asie-Pacifique dément ces allégations en prétendant que « Zarif a quitté la rencontre non pour montrer son mécontentement mais pour dire ses prières », selon le site Tabnak (1). Le moins que l’on puisse dire est que pareille explication n’est guère crédible, quelque soit le niveau de piété du ministre. Tabnak fait état d’une « source informée » qui aurait assuré que rien de spécial ne s’était passé au sommet de l’Organisation et que dès lors il n’y avait pas matière à protestation. Signe de malaise, le même site explique que Zarif aurait voulu de la sorte montrer concrètement que « L’Organisation n’était pas très importante pour l’Iran. De ce fait, il (le ministre) n’aurait suivi que quelques discours avant de quitter la réunion ». Le même support va plus loin en prétendant que « le ministre iranien des Affaires étrangères est en total désaccord avec l’approche du précédent gouvernement - qui insiste à l’excès sur l’accession de l’Iran à l’OCS - et croit que c’est l’Organisation elle-même qui devrait solliciter l’adhésion de l’Iran, comme elle le fit pour l’Inde et le Pakistan (2) ». Bien plus, aux dires de cette analyse, « ce fut la raison pour laquelle le Président Iranien Hassan Rohani n’a pas participé au sommet de Tashkent, qui s’est tenu au niveau des dirigeants, parce que le sujet de l’accession de l’Iran n’était aucunement supposé être évoqué lors de cette rencontre. » Ceci n’empêche pas Rahimpour de déclarer que « les présidents de la Chine, du Kyrgyzstan, du Kazakhstan, de la Russie, de l’Inde et du Pakistan ont soutenu la demande d’adhésion à l’OCS au cours de cette récente rencontre (3) ». Cette lecture de cette péripétie résiste-t-elle à l’analyse ? La réalité est sans doute plus complexe. Nous allons tenter d’en donner quelques clés ci-après.

L’Iran et l’OCS

Il est vrai qu’Ahmadinejad accordait une importance considérable à l’OCS et avait manifesté un zèle bruyant non seulement dans son intérêt à l’Organisation, mais surtout dans ses démarches en vue de passer du statut d’observateur à celui de membre de plein droit. Comme le relève l’excellent analyste Hossein Aghaie Joobani (4), l’ancien président, dans son discours du 15 juin 2006, avait décrit l’Organisation comme un bloc ouvertement anti-Occident. En même temps, ses propos violemment hostiles à Israël, à l’Amérique, sa posture de défiance face aux résolutions du Conseil de Sécurité, entretenaient un climat de tension peu propice à une négociation d’adhésion. Cet affichage générateur de troubles avait sensiblement freiné l’enthousiasme de la Russie et de la Chine qui, tout en souhaitant exercer un contrepoids face à l’Amérique, ne voulaient pas positionner l’OSC comme telle.

Notre analyste, dont nous reprenons ici les propos, souligne que « Pour Ahmadinejad et les durs qui le soutenaient, l’OCS représentait une occasion unique de conforter la politique ‘Go East’ de l’Iran face aux sanctions économiques en cours de durcissement (5) ». L’ancien président voyait dans l’adhésion le gain d’un surcroît de légitimité, de stature, qui devait élever la force de la position iranienne devant l’offensive américaine. C’est donc dans le double contexte d’une posture de défiance et de visée stratégique affichée « Go East » que s’inscrit la position de Téhéran. Si ces comportements ont suscité des réticences chez ceux qui auraient dû se poser en plus fidèles supporteurs de la candidature iranienne, Joobani note que des pays comme l’Ouzbekistan et le Kyrgizstan ont fait preuve de prudente réserve à cet égard. Si les relations bilatérales entre l’Iran, le Tadjikistan et le Kyrgizstan sont amicales, celles avec l’Ouzbekistan, globalement bonnes, avaient connu avant la présidence Rohani quelques grincements (6) politiques et sécuritaires, selon les mêmes sources. Avec la nouvelle équipe au pouvoir à Téhéran, en particulier un président et une diplomatie se présentant comme modérés, et surtout ayant décidé de conclure un accord nucléaire avec les 5+1 tout en cherchant un certain apaisement avec les Occidentaux, non seulement le climat entre les deux capitales s’est amélioré mais les liens de coopération économique se sont largement amplifiés (7). Pour autant, les dirigeants ouzbeks ne considèrent pas l’adhésion de l’Iran comme allant de soi. Si Tashkent a vu avec soulagement la conclusion de l’accord nucléaire de juillet 2015 comme un facteur important de stabilisation, de détente, du côté iranien, avec une politique de « modération », l’Ouzbekistan conserve néanmoins une certaine prudence à l’égard de ce partenaire dont il aimerait voir la modération s’amplifier dans ses relations extérieures. Il y a encore du chemin à accomplir compte tenu des conflits en cours. Au sommet d’Oufa, où il était « invité spécial », le président Rohani avait affirmé sa volonté de combattre le terrorisme, message qui avait retenu favorablement l’attention de ses auditeurs. Un climat plus propice à la demande d’adhésion en était émergé.

Mais au-delà de ce facteur, il convient de noter que l’accueil fait à la démarche iranienne est à tout le moins nuancé. Richard Weitz rappelle opportunément que même si les « grands » comme la Russie et la Chine pèsent d’un poids particulier au sein de l’OCS, ils n’y font pas la pluie et le beau temps, l’Organisation fonctionnant par consensus. Parmi les membres qui « comptent », « le Président Tadjik Emomali Rahmon avait, à ce qu’il paraît, exprimé son soutien à la candidature de l’Iran lors du sommet d’Oufa. L’Agence de presse Iranienne Irna relate que le Président du Kyrgyzstan Almazbek Atambayev avait aussi déclaré son appui à l’adhésion complète de l’Iran. Le gouvernement du Kazakhstan s’était montré moins démonstratif sur ce sujet, mais les relations irano-kazakhes se développent et Astana soutient vigoureusement l’intégration régionale et l’OSC (8) ». Par contraste, Weitz perçoit que l’obstacle le plus sérieux pourrait consister en l’opposition potentielle du Président Ouzbek Islam Karimov, qui avait manifesté une prudence quant à la possibilité d’accueillir un quelconque nouveau membre en raison des risques de perturbations qu’elle pourrait entraîner et aussi de dégradation de la posture de son pays dans l’Organisation. Il ajoute qu’au surplus « Les membres actuels devraient aussi partager les fonds de développement, des postes à l’OSC, et d’autres avantages institutionnels avec tout autre nouveau participant. » Pareillement, l’Ouzbekistan craint de perdre du poids et trouver son levier d’action dilué : « Comme à l’Iran, l’OSC offre à l’Ouzbekistan sa plus importante institution régionale, aussi Tashkent veut maximiser son influence sur le développement de l’Organisation. Depuis que l’Ouzbekistan préside l’OSC jusqu’au sommet suivant, un progrès réel dans la candidature de l’Iran pourrait ne pas advenir avant cela ».

On comprend mieux, à présent, que derrière les réticences plus ou moins avouées, d’autres préoccupations, d’autres intérêts entravent la célérité d’une accession qui, sur le plan régional, semble aller de soi. Franchir ces obstacles exige de l’Iran une habileté manœuvrière qui ne semble pas avoir été mise en œuvre au sommet de Tashkent. Dès le début de son mandat, le nouveau président iranien a saisi tout l’intérêt de parvenir à la pleine adhésion de son pays. Il s’agit de rejoindre un bloc dont la tonalité anti-américaine autour du concept de refus de présence d’étrangers à la région, promu par Pékin, convient parfaitement à Téhéran, au moment où l’Iran, sous le coup de la strangulation imposée par les sanctions, a grand besoin de conforter ses appuis pour gagner quelque poids dans sa négociation nucléaire avec les 5+1. L’avenir montrera que ces ressources lui ont été indispensables dans ses négociations. Du côté de Pékin qui a originellement poussé à l’émergence d’une organisation dont un des buts premiers est de combattre le séparatisme (Ouïgour), le terrorisme islamiste (et sous ce vocable l’expansion d’un islam même simplement affirmé), la contribution de Téhéran à l’Organisation n’est pas complètement évidente. Aussi Rohani s’emploiera en septembre 2013 au sommet de Bishkek à rassurer la Chine sur les intentions pacifiques de son programme nucléaire : « L’Iran aimerait accepter la supervision de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique et éliminer les inquiétudes de la communauté internationale à travers la coopération ». En échange d’une certaine bienveillance pour les démarches de l’Iran vers l’OCS, Pékin et Moscou souhaitent tirer parti des intentions de Rohani en vue d’un accord nucléaire qui pourrait ouvrir la voie à cette adhésion (9). Par rapport à la « stratégie de survie » de l’administration Ahmadinejad, la nouvelle présidence Rohani, qui a procédé à un réexamen de la politique du pays sur ce dossier (10), voit dans l’Organisation, au-delà d’un utile contrepoids à l’Amérique, une opportunité d’améliorer les relations de la République Islamique avec ses voisins, et de faire profiter ses derniers de sa pratique d’aide à la résolution pacifique des conflits à l’image du dossier du Haut-Karabakh opposant la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie. Téhéran se perçoit comme pouvant contribuer utilement au traitement du très épineux problème de l’avenir afghan.

L’accord du 14 juillet 2015 et ses conséquences

L’accord nucléaire du 14 juillet 2015 conclu entre l’Iran et les 5+1 (5 Membres Permanents du Conseil de Sécurité des Nations unies + l’Allemagne) a-t-il changé la donne ? La réponse ne fait guère de doute. En s’engageant par des mesures de confiance extrêmement contraignantes à éliminer de son programme nucléaire ce qui pourrait constituer la construction d’un outil militaire, la République Islamique a donné un signal très fort à la communauté internationale et a très certainement répondu à une des objections majeures à son adhésion. De fait en 2015, Téhéran a formellement confirmé la demande déposée en 2008. Cela étant, la question (centrale) qui se pose est de savoir si cet accord suffit à répondre à la condition incontournable qui est mise par l’Organisation : un candidat ne peut postuler s’il est soumis à des sanctions. Or, à ce jour, la République islamique bénéficie depuis le 16 janvier de la levée formelle d’une grande partie des sanctions américaines et communautaires prononcées contre l’Iran au titre de la prolifération nucléaire. Il faut noter que certaines d’entre elles (notamment à l’encontre de plusieurs banques) ne seront levées effectivement que dans plusieurs années, toutes les banques iraniennes sanctionnées ne bénéficiant pas d’un calendrier strictement identique. Mais ceci n’est qu’un point de détail secondaire qu’on peut le cas échéant ignorer dans le cadre de la présente discussion. En revanche, un problème majeur se pose à notre sens à l’Iran et à l’Organisation dans l’examen de cette candidature. Il est d’ailleurs étrange, à notre sens, qu’il soit passé sous un relatif silence : les sanctions dites primaires américaines.

En effet, si l’essentiel des sanctions nucléaires communautaires et américaines ont été levées (régime dit des sanctions secondaires (11) pour la législation américaine), les sanctions prononcées au titre de la lutte contre le blanchiment d’argent, le terrorisme, les atteintes aux droits de l’Homme (dénommées sanctions primaires dans la législation américaine), sont intégralement maintenues. Or un des objectifs majeurs de l’OCS est bien la coopération en matière de lutte contre le terrorisme. On voit mal comment l’Organisation peut admettre en son sein un Etat sanctionné pour participation ou soutien à des activités terroristes. A notre sens, ceci constitue un défi singulièrement difficile à franchir pour Téhéran. Il faudrait supposer que l’Organisation estime que les sanctions ainsi en vigueur soit sont dépourvues de fondement, qu’elle n’en reconnaît pas la validité, soit qu’elle estime (au vu de quels éléments ?) que l’Iran a soit changé de comportement et adopté une ligne de conduite qui rend ces sanctions dépourvues de légitimité ou de pertinence. Ce faisant, l’OCS déclarerait prendre une posture politique en statuant qu’au regard de ses propres missions et objectifs le fait que Téhéran soit sanctionné n’est pas un obstacle à son adhésion. Ou, variante de cette dernière hypothèse, que Téhéran parvienne à faire admettre que les griefs qui ont conduit aux dites sanctions visent des comportements qui ne concernent ni ne visent l’OCS ni aucun de ses membres, donc ne rentrent pas dans le champ des compétences de l’OCS.

A l’évidence, nul ne sait si ces hypothèses pourraient se concrétiser. Aussi, quand certains analystes iraniens, reflétant sans doute une ligne gouvernementale, estiment, à la veille du sommet de Tashkent, qu’à présent que « les sanctions internationales contre l’Iran ont été retirées et que les restrictions engendrées par les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations-Unies ont été levées, il n’y a plus d’obstacle important à l’adhésion plénière de l’Iran à l’Organisation (12) », il y a là une prise de position qui n’est pas exempte de vulnérabilité pour les raisons que nous venons de décrire.

Lire la partie 2 : L’Iran et l’Organisation de Coopération de Shanghaï : une porte à moitié ouverte ? (2/2)

Notes :
(1) Why Zarif Left SCO Meeting in Tashkent, Southeast Asia Post, 27 juin 2016.
(2) Idem.
(3) Idem.
(4) Iran, the SCO and Major Geo-strategic Shifts in a Post-Ahmadinejad Era, E-International Relations, 24 septembre 2013.
(5) Idem.
(6) Ariel Farrar-Wellman, Robert Frasco, Uzbekistan-Iran Foreign Relations, Iran Tracker, 10 juillet 2010. Voir aussi : Roman Muzalevsky, Iran Maneuvers Uzbek-Tajik Squabbles, ISN Insights, 1er mars 2011.
(7) Ambassador : Iran, Uzbekistan Expanding Ties, FNA, 21 février 2015 ; Speaker : Iran-Uzbekistan Cultural Commonalities Proper Ground for enhancing Cooperation, Fars News, 30 avril 2015 ; Uzbekistan, Iran discuss co-op in trade, economic sphere, TODAY.AZ, 17 septembre 2015.
(8) Richard Weitz, Iran and the SCO : New Opportunities, New Challenges, CACI Analyst, Hudson Institute,18 août 2015.
(9) Brendan P. O’Reilly, SCO glimpses a new Eurasia in Bishkek, AsiaTimesOnline, 16 septembre 2013.
(10) Kaveh L. Afrasiabi, Iran Reviews Its Ties with SCO, Iran Review, 24 août 2013.
(11) Sur la distinction entre sanctions primaires et secondaires, voir : Michel Makinsky, Iran : Quelles sont les perspectives concernant la levée des sanctions ?, Les Clés du Moyen-Orient, 16 novembre 2015, réactualisé le 16 décembre 2015.
(12) Jahangir Karami, Why Iran Should Become a Member of the Shanghai Cooperation Organization ?, Iran Review, 21 juin 2016.

Publié le 28/07/2016


Outre une carrière juridique de 30 ans dans l’industrie, Michel Makinsky est chercheur associé à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), et à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA), collaborateur scientifique auprès de l’université de Liège (Belgique) et directeur général de la société AGEROMYS international (société de conseils sur l’Iran et le Moyen-Orient). Il conduit depuis plus de 20 ans des recherches sur l’Iran (politique, économie, stratégie) et sa région, après avoir étudié pendant 10 ans la stratégie soviétique. Il a publié de nombreux articles et études dans des revues françaises et étrangères. Il a dirigé deux ouvrages collectifs : « L’Iran et les Grands Acteurs Régionaux et Globaux », (L’Harmattan, 2012) et « L’Economie réelle de l’Iran » (L’Harmattan, 2014) et a rédigé des chapitres d’ouvrages collectifs sur l’Iran, la rente pétrolière, la politique française à l’égard de l’Iran, les entreprises et les sanctions. Membre du groupe d’experts sur le Moyen-Orient Gulf 2000 (Université de Columbia), il est consulté par les entreprises comme par les administrations françaises sur l’Iran et son environnement régional, les sanctions, les mécanismes d’échanges commerciaux et financiers avec l’Iran et sa région. Il intervient régulièrement dans les media écrits et audio visuels (L’Opinion, Le Figaro, la Tribune, France 24….).


 


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