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La Cisjordanie au XXe siècle (2/2) : De 1967 à aujourd’hui, un territoire en lien avec la question palestinienne

Par Delphine Froment
Publié le 15/04/2013 • modifié le 10/03/2018 • Durée de lecture : 9 minutes

La Cisjordanie : un territoire occupé

Le Plan Allon

A l’issue de la guerre des Six Jours, Israël cherche à sécuriser ses intérêts nationaux par une occupation très organisée de la Cisjordanie : il s’agit de prévenir une possible intervention arabe par le Jourdain. Pour ce faire, l’Etat israélien procède à une annexion du territoire, avec une loi de la Knesset du 27 juin 1967, qui autorise l’application du droit, de la juridiction et de l’administration de l’Etat à tout territoire palestinien. De même, un texte autorisant le ministre de l’Intérieur à étendre les limites municipales de Jérusalem permet ainsi l’annexion de la partie arabe de la ville. Ces différentes décisions du gouvernement israélien provoquent un grand émoi dans la communauté arabe.

Le gouvernement travailliste, qui est alors au pouvoir (1967-1977) et qui met en avant la sécurité d’Etat, va faire quelques modifications des frontières de 1948 : en effet, Ygal Allon (rédacteur du Plan Allon de 1967) considère que les frontières de 1948 ne sont pas tenables, notamment celles de l’Est (la Cisjordanie, donc), qui passent à 10 ou 15 miles des principales agglomérations israéliennes. Ainsi, le Plan Allon de 1967 est le cadre de référence de la future politique d’implantation d’Israël dans les territoires occupés. Ce plan veut définir les zones qu’Israël doit occuper pour garantir sa sécurité, en assurant des frontières bien démarquées et avec seulement de faibles minorités arabes implantées dans ces territoires. Il faut donc procéder à un nouveau découpage territorial et stratégique, pour annexer les régions à faible population arabe tout en contribuant à une solution de la question palestinienne et en préservant le caractère juif de l’Etat d’Israël. Dans ces nouveaux territoires contrôlés par Israël, il est prévu de construire des colonies urbaines et rurales, et des bases militaires permanentes.

Pour confirmer cet état d’annexion de la Cisjordanie, celle-ci devient la province de « Judée et Samarie ». Néanmoins, la loi jordanienne qui était mise en œuvre sur le territoire jusqu’en 1967 reste en application, et l’administration jordanienne elle-même reste en grande partie en place. Ainsi, une sorte de codirection de la région s’établit : la sécurité et la défense revient à Israël tandis que l’administration de la vie civile revient à la Jordanie. De plus, Israël met en place un leadership palestinien modéré et conservateur pour se charger de l’administration cisjordanienne, et représenter la population arabe dans les négociations visant à trouver une solution pour la question palestinienne : cependant, ce leadership ne fonctionne pas, car les Palestiniens de cette institution ne prennent pas prendre d’initiative sans le soutien de la Jordanie ou de l’OLP.

L’intensification de la colonisation juive des territoires occupés

Dans les années 1970, le général israélien Dayan participe à l’accélération de la colonisation juive de la Cisjordanie. Pour laisser Israël s’implanter sur le territoire, il cherche à faire des Arabes des citoyens jordaniens. La colonisation s’intensifie sous le gouvernement Rabin-Pérès, avec une organisation sioniste extrémiste, « Goush Emounim » (« Bloc de la Foi »), qui est autorisée à créer de nouvelles colonies en secteur arabe. Cela conduit à une première grande vague de protestation populaire en Cisjordanie, en mars 1976, avec une grève générale, des manifestations, des heurts violents avec la police et l’armée. Cela coïncide avec la victoire écrasante des nationalistes lors des élections municipales de 1976 mettant fin au pouvoir des notables liés au régime hachémite de Jordanie, et qui met en évidence la radicalisation des Palestiniens face à Israël.

Israël et les Cisjordaniens face à la question palestinienne : vers la radicalisation du conflit

Israël : écarter les rivaux politiques

L’Etat israélien cherche à éviter que d’autres pays (comme la Jordanie) ou groupes qui revendiquent l’indépendance de la Palestine (l’OLP), s’immiscer dans les débats. En effet, beaucoup de Cisjordaniens sont influencés par l’OLP et organisent dans les années 1970 des manifestations sur le territoire, mais Israël ne souhaite pas l’émergence d’un leadership pro-OLP et nationaliste cisjordanien. Par exemple, en 1967, des notables demandent une permission pour tenir un débat sur l’avenir de la Cisjordanie : elle est rejetée. En réaction, un Haut Conseil Musulman politique et religieux s’établit à Jérusalem-Est, avec la figure d’Abd al-Hamid al-Salih qui proteste contre l’annexion de la partie arabe de la ville, et qui se nomme aux affaires Musulmanes de Jérusalem et de la Cisjordanie. Il sera, avec quelques autres membres du Conseil, expulsé. Parallèlement, Israël ne prend pas en compte les anciens sénateurs, députés et ministres qui sont partisans d’une nouvelle annexion de la Cisjordanie à la Jordanie : en effet, la Jordanie restera longtemps présentée comme une solution au problème palestinien par les partisans des visées du royaume hachémite.

Les Cisjordaniens et les Palestiniens : vers un renouveau nationaliste ?

Les maires, quant à eux, sont élus et reconnus officiellement comme les leaders municipaux de la population cisjordanienne. Ils se font les hérauts de la population, relayant les contestations concernant l’occupation territoriale, l’annexion de Jérusalem, l’implantation de Juifs dans Hébron. Ils tentent de donner leur avis sur l’avenir politique de la Cisjordanie. Israël, de son côté, tolère ces élus locaux, qui obtiennent plus de pouvoirs sous le gouvernement militaire israélien que pendant la période d’annexion à la Jordanie. Aussi, même s’ils sont parfois critiques sur la politique israélienne et les tentatives jordaniennes pour reprendre le contrôle de la Cisjordanie, les maires cisjordaniens coopèrent beaucoup avec Israël et s’opposent à l’OLP ; d’autant plus que jusqu’en 1976, ils sont tous issus de l’élite locale traditionnelle et conservatrice, et ne sont donc pas forcément imprégnés d’une idéologie politique plus radicale par rapport à l’avenir palestinien en Cisjordanie.

En revanche, après 1973 et la guerre du Kippour, les Arabes cisjordaniens vont connaître une radicalisation idéologique et politique, mettant peu à peu sur la touche cette ancienne élite pour laisser la place à une nouvelle élite partisane du parti communiste, du Ba’th ou encore de l’OLP. Paradoxalement, c’est Israël qui est à l’origine de cette évolution : en effet, en menant une politique de plein emploi, de redistribution des biens aux travailleurs et paysans, de dépenses pour le secteur public, Israël rend les Cisjordaniens de plus en plus indépendants de l’élite traditionnelle. De même, la modernisation sociale (démocratie, possibilité de faire appel à la Haute Cour de Justice, liberté d’expression, liberté de presse, développement de l’éducation et des universités…) inspire les intellectuels et les coupe de leur vieille élite. Mais surtout, ils utilisent les éléments de cette modernisation pour prendre le pouvoir, et mobiliser la population contre Israël. D’autant plus que cette dynamique est accentuée par le gouvernement israélien qui, soucieux de sa sécurité, maintient son occupation sur la Cisjordanie et mène des expéditions punitives contre l’OLP, radicalisant ainsi encore plus les Cisjordaniens contre Israël. Le fait que l’OLP soit reconnu en 1974 et que la guerre du Kippour ait démontré en 1973 qu’Israël n’est pas invincible aide dans l’émergence d’une nouvelle communauté, consciente et revendicatrice de son identité nationale. Cette dynamique est confirmée par les élections municipales de 1976, où de jeunes militants nationalistes qui sont officiellement en lien avec l’OLP, sont élus. D’autre part, le Likoud, au gouvernement israélien en 1977, appelle à l’annexion définitive de la Cisjordanie et de Gaza à Israël, et à l’accentuation des colonisations juives au cœur du territoire cisjordanien. En réaction à cela, les élus cisjordaniens s’organisent dans le Comittee for National Guidance de 1978, organe nationaliste qui s’oppose fermement aux accords de Camp David, et qui s’affirme comme le leader politique de la Cisjordanie. Ce mouvement est néanmoins brutalement interrompu à l’été 1980, du fait des attentats contre deux élus influents et l’expulsion d’un autre par Israël.

Vers la première Intifada

Suite au traité de Washington du 21 mai 1979, Israël est en position de force : les pays arabes, qui ont unanimement condamné ce traité, sont ébranlés par la révolution iranienne et le conflit libanais, et ne peuvent donc pas vraiment faire face à Israël. Cette dernière affirme donc au lendemain du traité de Washington, le 26 mai 1979, que la Cisjordanie (et plus particulièrement les terres domaniales, les terres non cultivées et les réserves hydrauliques) restera sous contrôle des autorités israéliennes, et que la politique d’implantation sera encore développée : Israël refuse tout Etat palestinien dans ces territoires.
Depuis l’établissement du gouvernement du Likoud en 1977, la position d’Israël se radicalise vis-à-vis de la Palestine : contrairement à la politique des travaillistes jusqu’alors, le Likoud refuse désormais tout compromis territorial, exigeant le contrôle politique et la souveraineté indivisible sur toute la région.
Enfin, les années 1980 voient le niveau de vie palestinien et arabe décliner, avec une crise de la rente pétrolière ; ajouté à la colonisation juive qui se renforce depuis 1979, tout se conjugue pour mener à une violence croissante des Palestiniens à l’encontre Israël. C’est surtout en 1986-1987 que la tension politique augmente dans les territoires occupés. Une révolte spontanée commence d’abord à Gaza avec une série d’actes de violence individuels, bientôt récupérés de manière plus organisée. En 1988, le soulèvement se structure en un commandement national unifié, avec deux grandes organisations politiques : les islamistes du Hamas et l’OLP. Cette première Intifada s’élargit ensuite à la Cisjordanie. Peu à peu, les territoires occupés sombrent dans une routine de la violence contre Israël.

La fin des visées jordaniennes sur la Cisjordanie

Depuis la perte de la Cisjordanie en 1967, le régime hachémite n’a pas cessé de tenter de récupérer ce territoire, d’autant plus qu’il était souvent le seul médiateur possible entre l’OLP et Israël. La Jordanie profite de sa situation géographique (pays limitrophe de la Cisjordanie) et géopolitique pour proposer à la communauté internationale plusieurs solutions à la question palestinienne dans lesquelles la Jordanie contrôlerait la rive gauche du Jourdain. Toutes ces tentatives ont échoué, que ce soit du fait du refus des Palestiniens, des Israéliens ou encore des puissances occidentales et de l’ONU.
En 1988, le roi Hussein est le premier à tirer les conséquences de l’Intifada : en juin 1988, comprenant que l’annexion de la Cisjordanie à un Etat autre que palestinien n’est plus une solution, il annonce que la Jordanie n’a désormais plus la moindre ambition sur le territoire palestinien. Elle ne se substituera plus à l’OLP dans le cadre des négociations de paix. Aussi, le Parlement jordanien est dissous, afin de supprimer la représentation des citoyens habitants de Cisjordanie, qui, depuis 1950, étaient représentés par 20 députés de la Chambre.
C’est notamment après cette déclaration du roi Hussein que, le 14 novembre 1989, l’Etat palestinien proclame son indépendance.

Des années 1990 à aujourd’hui : vers une impasse ?

Malgré la signature des accords d’Oslo de 1993 entre Yasser Arafat et Itshak Rabin, le climat reste tendu en Cisjordanie, notamment après le massacre d’Hébron, le 25 février 1994, où un colon juif ouvre le feu sur des musulmans venus prier dans le caveau des Patriarches durant la période du ramadan. Aussi, à partir d’avril 1994, Itshak Rabin procède à des mesures symboliques pour freiner la colonisation et les organisations d’extrême droite. La violence se déplace alors du côté des Palestiniens, avec une série d’attentats du Hamas contre la population civile israélienne de Cisjordanie : Rabin réagit en cherchant à séparer le plus possible les deux peuples ; de plus, le 4 mai 994, un accord institue l’autonomie palestinienne à Gaza et dans la région de Jéricho (partie de la Cisjordanie) ; finalement, en 1995, l’Autorité palestinienne administre territorialement la Cisjordanie.

Cette volonté de séparation des deux peuples, initiée par Rabin et le gouvernement travailliste, débouchera sur l’édification d’une barrière de séparation israélienne. En effet, la seconde Intifada débute le 28 septembre 2000, et provoque la colère d’organisations civiles israéliennes qui réclament une barrière hermétique pour les séparer des Palestiniens et éviter ainsi la multiplication des frictions entre les deux populations : ils invoquent cette barrière comme une solution aux intrusions terroristes.

Le 16 juin 2002, Ariel Sharon et son gouvernement se saisissent du projet pour protéger les grandes agglomérations israéliennes en rendant hermétique la ligne verte de 1949 [1]. Cette construction provoque de vives polémiques : le 9 juillet 2004, par exemple, la Cour Internationale de Justice, consultée par l’Assemblée Générale de l’ONU, affirme qu’il s’agit là d’une violation de la loi internationale. D’ailleurs, le tracé du mur sera modifié à plusieurs reprises entre 2004 et 2005, que ce soit à la demande de Palestiniens, d’Israéliens ou de la Haute Cour de Justice israélienne : ainsi, en 2005, le nouveau tracé de barrière intègre 8,5% du territoire cisjordanien, et 27 520 de Palestiniens se retrouvent du côté israélien.

L’existence de la barrière de séparation n’empêche pas Israël de procéder à plusieurs incursions en Cisjordanie en représailles aux attentats suicides palestiniens. Par ailleurs, la Cisjordanie est occupée par quelques 121 colonies et une centaine d’avant-postes (des implantations illégales). Mais dans le même temps, quatre colonies cisjordaniennes ont été retirées en 2004 du fait du plan de désengagement unilatéral proposé par Ariel Sharon.

Finalement, il semble que la Cisjordanie, comme tous les autres territoires occupés, soient dans une impasse, où aucune solution durable ne semble pouvoir être trouvée pour le moment, tant l’instabilité semble régner. Le dialogue semble plus difficile à mener entre Israël et l’Autorité palestinienne que dans les années 1990, et Israël fait très peu de concessions aux Palestiniens. Cela a pu se constater quand, en 2010, le gouvernement israélien a refusé de proroger son moratoire sur la colonisation en Cisjordanie qui arrivait à échéance à la fin de septembre 2010. En effet, le 25 novembre 2009, à la demande de Washington qui considérait ce moratoire nécessaire pour relancer les pourparlers de paix, le Premier ministre Benjamin Nétanyahou fait adopter le gel partiel de la construction de colonies en Cisjordanie, pour une durée de 10 mois. Mais en septembre 2010, ce moratoire n’est pas prolongé. Cet événement met fin à toute perspective de pourparlers, car proroger le moratoire est la condition sine qua non de Mahmoud Abbas pour la poursuite des négociations directes entre les Israéliens et les Palestiniens sous l’égide des Etats-Unis en 2010.

Lire la partie 1 : La Cisjordanie au XXe siècle (1/2) : De la fin du XIXe siècle à 1967

Bibliographie :
 Jean-Paul Chagnollaud, Israël et les territoires occupés : la confrontation silencieuse, Paris, L’Harmattan, 1986, 176 pages.
 Henry Laurens, Le retour des exilés, Paris, Robert Laffont, 1998, 1214 pages.
 Ma’oz Moshe, Palestinian leadership on the West Bank : the changing role of the Arab mayors under Jordan and Israel, Londres, Totowa, F. Cass, 1984, 217 pages.
 Article « Israël – Chronologie (1990-2008) », Encyclopædia Universalis, édition en ligne : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/israel-actualite-1990-2008/
 Article « Le moratoire de la discorde », Le Monde, 24 septembre 2010, édition en ligne : http://lemonde.fr/proche-orient/article/2010/09/24/colonisation-israelienne-le-moratoire-de-la-discorde_1414832_3218.html

Publié le 15/04/2013


Agrégée d’histoire et élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, Delphine Froment prépare actuellement un projet doctoral. Elle a largement étudié l’histoire du Moyen-Orient au cours de ses études universitaires, notamment l’histoire de l’Islam médiéval dans le cadre de l’agrégation.


 


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