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La bataille de Raqqa, une étape symbolique pour déloger l’Etat islamique de son fief et préparer le futur de la Syrie

Par Ines Gil
Publié le 27/06/2017 • modifié le 27/06/2017 • Durée de lecture : 7 minutes

The Kurdish Democratic Forces launch an offensive to capture the jihadist group Islamic State’s Syrian stronghold of Raqqa as seen on June 9, 2017.

Guillaume Briquet / Citizenside / AFP

Une ville moyenne disputée durant le conflit syrien

Située au nord de la Syrie, à mi-chemin entre Alep et la frontière avec l’Irak, Raqqa, capitale du gouvernorat éponyme, est la 6ème ville de Syrie. La « Perle de l’Euphrate », qui aurait été fondée selon la légende par Alexandre Le Grand, avait par le passé constitué la capitale éphémère du calife abbasside et héros des Mille et une nuits, Haroun Al Rachid. Sous Hafez Al-Assad, cette ville à la fois bédouine et citadine constitue une vitrine pour le développement économique et démographique de la Syrie (1).

En 2011, alors que la guerre civile éclate dans le pays, Raqqa ne connait pas de contestations, probablement du fait des alliances que Bachar Al-Assad a eu soin de nouer avec les tribus locales. Cependant, Raqqa accueille des dizaines de milliers de réfugiés qui fuient les combats entre les rebelles et le régime syrien dès 2011. C’est au cours du premier anniversaire du début des contestations syriennes, en mars 2012, que des manifestations sont organisées à Raqqa. L’armée syrienne réprime le mouvement, et fait plusieurs morts. Suite à ces événements, la contestation s’intensifie, et des groupes rebelles s’allient pour créer le Conseil militaire de Raqqa, qui rejoint l’Armée syrienne libre. En février 2013, les rebelles s’emparent d’al-Tabqa, située à quelques kilomètres à l’ouest de Raqqa. Le mois suivant, une bataille opposant l’armée syrienne et des groupes rebelles, constitués du groupe salafiste Aharar Al-Sham, de Jabhat Al Nosra qui est à l’époque proche d’Al-Qaïda, avec le soutien de l’Armée syrienne libre. Le 3 mars 2013, les rebelles revendiquent le contrôle de Raqqa. C’est un tournant dans la révolution syrienne car c’est la première capitale de région à tomber entre leurs mains. Au même moment, l’Etat islamique en Irak et au Levant gagne du terrain. En janvier 2014, le groupe s’empare à son tour de Raqqa. Six mois plus tard, l’EIIL conquiert Mossoul, la seconde ville d’Irak. L’Emir Abou Bakr Al-Baghdabi y proclame le califat sur les territoires contrôlés en Syrie et en Irak. Raqqa devient la capitale syrienne de l’Etat islamique nouvellement créé (2).

Raqqa, « capitale » de l’Etat islamique

Capitale de l’EI, Raqqa devient le cœur de décision et de propagande de l’Etat, une vitrine pour les actions de Daesh. Après juin 2014, la ville constitue l’un des deux sanctuaires de l’EI, avec Mossoul (Irak). C’est depuis Raqqa que sont préparés plusieurs attentats d’ampleur, comme les attentats de Paris en 2015. D’ailleurs, suite aux attaques terroristes du 13 novembre, qui causent la mort de 130 personnes, la France bombarde lourdement des positions de l’Etat islamique dans Raqqa. Dix chasseurs bombardiers sont envoyés pour larguer une vingtaine de bombes sur des lieux stratégiques tels qu’un camp d’entraînement, des dépôts d’armes et un centre de commandement.

Fief de l’EI, Raqqa devient le symbole de la répression du groupe et de ses méthodes totalitaires. C’est à Raqqa que le collectif « Raqqa is being slaughtered silently » est créé en avril 2014, trois mois après la prise de la ville par Daesh, dans le but de contrer la propagande de l’Etat islamique. Fondé par des journalistes indépendants, ce collectif constitue une des rares fenêtres d’observation de la ville sous l’Etat islamique. Les vidéos ou les photos relayées par ces journalistes dépeignent une vie quotidienne difficile, avec les pénuries et l’application de règles rigoristes, mais aussi la répression de l’Etat islamique. Les vidéos relayées sont principalement des images d’exécutions de soldats syriens, d’opposant anti-EI, d’homosexuels ou de femmes adultères (3).

A partir de 2015, l’EI connait des pertes territoriales qui affaiblissent fortement son assise sur l’Irak et la Syrie. En Syrie, les Forces démocratiques syriennes (FDS), composées principalement de milices kurdes, gagnent du terrain dans le nord du pays. Elles coupent des routes importantes qui reliaient Raqqa à Mossoul en décembre 2015. En Juillet 2016, l’avancée des FDS d’un côté et de certains groupes rebelles soutenus par l’armée turque de l’autre, coupe tout accès de l’EI vers la Turquie. Dans le même temps, et jusqu’à aujourd’hui, l’armée syrienne avance à l’est d’Alep. La progression de l’ensemble de ces acteurs du conflit syrien a permis de resserrer l’étau autour de l’EI à Raqqa et d’offrir un terrain viable pour une offensive sur la capitale de l’EI (4).

L’offensive Colère de l’Euphrate

Qui sont les forces en présence ? D’un côté, les combattants de Daesh sont encore présents dans la majeure partie de la ville. Composés de locaux et d’étrangers, ils seraient entre 3000 et 4000 à défendre leur fief. En face, les Forces démocratiques syriennes mènent l’offensive dans la région éponyme pour récupérer Raqqa depuis novembre 2016. Elles sont majoritairement composées de combattants kurdes liés au PKK syrien et comportent aussi des combattants arabes proches de l’Armée syrienne libre. Les FDS sont soutenues par une coalition internationale largement dominée par les Etats-Unis, qui appuie l’offensive à travers des bombardements aériens, et apporte un soutien financier et stratégique.

Le régime de Damas, quant à lui, est entré dans le jeu quelques heures après le début de la bataille de Raqqa, le 6 juin. Des forces loyalistes ont pénétré dans la région éponyme, « une première depuis un an » (5). Damas craint en effet de perdre le contrôle de l’est de la Syrie une fois que l’EI en sera délogé, au profit des FDS. La présence de ces forces loyalistes a entrainé un regain de tensions entre Damas et Washington : le 18 juin, les Etats-Unis ont détruit un avion de combat syrien situé à 40 kilomètres au sud-ouest de Raqqa (6). Deux jours plus tard, Washington a abattu un drone syrien dans la région d’Al-Tanaf qui jouxte l’Irak et la Jordanie. Ce regain de tension se déroule un peu plus de deux mois après les frappes américaines sur une base aérienne syrienne. Elles avaient pour but d’adresser un avertissement fort suite à l’attaque à l’arme chimique attribuée à Damas sur le village de Khan Cheikhoun.

En outre, la dimension régionale du conflit s’est renforcée car le 18 juin, l’Iran a tiré une série de missiles depuis son territoire, contre des territoires contrôlés par l’EI, dans la région de Deir-Ez-Zor, située à 140 kilomètres à l’est de Raqqa. C’est la première fois que Téhéran tire des missiles depuis son propre territoire. Officiellement, ce tir a été effectué en représailles aux attentats du 7 juin perpétrés par l’EI contre le Parlement et le mausolée de l’imam Khomeiny à Téhéran. Il vient aussi épauler le régime syrien qui y combat l’Etat islamique, pour retrouver le contrôle sur l’est du pays (7).

A Raqqa, l’avancée de l’offensive est lente et difficile. Dans la ville, les premiers quartiers à l’est, à l’ouest et au nord ont été libérés, mais l’avancée se fait aujourd’hui rue par rue. L’EI, préparé par la venue des FDS, aurait piégé les grands axes de mines. Parmi les petites rues qui composent la ville, de multiples snipers de l’EI se cacheraient dans l’attente des FDS. Celles-ci travaillent de pair avec la coalition internationale ; elles repèrent sur le terrain les combattants de l’Etat islamique, indiquent leur position aux forces de la coalition et ces dernières lancent des frappes aériennes. Côté civil, la bataille n’aurait pas entraîné d’importants mouvements de population pour le moment, mais 10 000 déplacés sont tout de même réfugiés dans un camp au nord de la ville (8).

La reprise de Raqqa constituerait une victoire décisive et symbolique contre l’EI. La capitale auto-proclamée de l’Etat islamique constituait un lieu central de décision. La reprise de la 6ème ville de Syrie serait une étape décisive marquant l’affaiblissement progressif de l’EI sur le terrain. Alors que la bataille de Raqqa est amorcée en Syrie, Mossoul (Irak) est sur le point d’être reprise des mains de l’EI par les forces gouvernementales irakiennes. La deuxième ville d’Irak avait été conquise par l’EI six mois après Raqqa. Elle constituait le fief irakien de l’EI. Ces évolutions poussent d’ores et déjà les combattants de l’EI à se replier sur un espace entourant la frontière irako-syrienne, dans des villes beaucoup moins stratégiques.

Conclusion

Le 6 juin dernier, l’offensive préparée depuis plusieurs mois pour récupérer Raqqa débute dans la ville, portant un nouveau coup à l’Etat islamique. Le début de la bataille de Raqqa fait naturellement écho à la perte quasi-totale de Mossoul par l’EI. Les reprises de Mossoul et de Raqqa évoluent presque dans le même temps, et semblent comporter une symbolique similaire. Cependant, elles n’impliquent pas les mêmes enjeux ni les mêmes conséquences sur la région. En effet, à Mossoul, les forces gouvernementales irakiennes sont en première ligne pour récupérer la ville, appuyées par la coalition internationale. Ainsi, la bataille de Mossoul constitue un moyen de reprise de contrôle du territoire par l’Etat irakien. Alors qu’à Raqqa, l’offensive composée des FDS n’a pas inclut le régime syrien. La reprise de cette ville marquerait l’évolution vers une Syrie en partition.

A lire également sur Les clés du Moyen-Orient :

 État abbasside (750-945) : l’Empire de l’Islam à son apogée ? Première partie
 État abbasside (945-1258) : la reconfiguration du monde musulman. Deuxième partie
 Synthèse : Profiling Jabhat al-Nusra, Charles Lister, The Brookings Project on U.S. Relations with the Islamic World n°24, juillet 2016 (1/2)
 Synthèse : Profiling Jabhat al-Nusra, Charles Lister, The Brookings Project on U.S. Relations with the Islamic World n°24, juillet 2016 (2/2)
 Mossoul
 Entretien avec Charles Thiefaine - « Mossoul Ouest : certaines rues s’apparentaient aux images d’Alep »

Notes :
(1) Myriam Ababsa, « Raqqa, territoires et pratiques sociales d’une ville syrienne », Broché, 12 décembre 2009.
(2) « Conflit syrien - les principales offensives menées sur Raqqa et sa province, chronologie et bibliographie », Office France de Protection des réfugiés et des apatrides, Le 18 mars 2016, consulté le 23 juin 2017 (en ligne), URL : https://ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/1603_syr_chronologie_a_raqqa.pdf
(3) « Les images terrifiantes tournées en secret à Raqqa », Tracks, Arte, Le 18 mars 2016, consulté le 24 juin 2017 (en ligne), URL : http://tracks.arte.tv/fr/les-images-terrifiantes-tournees-en-secret-raqqa
(4) « Comment l’Etat islamique a reculé en Irak et en Syrie depuis 2014 », Le Monde, Le 13 mars 2017, consulté le 24 juin 2017 (en ligne) URL : http://abonnes.lemonde.fr/les-decodeurs/visuel/2017/03/13/comment-l-etat-islamique-a-recule-en-irak-et-en-syrie-depuis-2014_5093896_4355770.html
(5) « Syrie, les forces de Damas entrent à leur tour dans la province de Raqqa », RFI, Le 7 juin 2017, consulté le 24 juin 2017 (en ligne), URL : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20170607-syrie-forces-damas-province-raqqa-armee-loyaliste-assad
(6) Marianne Meunier, « Syrie : regain de tensions entre Washington et Damas », La Croix, Le 20 juin 2017, consulté le 23 juin 2017 (en ligne), URL : http://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Syrie-regain-tensions-entre-Washington-Damas-2017-06-20-1200856649
(7) « L’Iran tire des missiles contre des « bases de terroristes » en Syrie », Le Figaro, Le 18 juin 2017, consulté le 24 juin 2017 (en ligne), URL : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/06/18/97001-20170618FILWWW00241-l-iran-tire-des-missiles-contre-des-bases-de-terroristes-en-syrie.php
(8) « Raqqa, au cœur du bastion syrien de l’organisation islamique », Le Zoom de la Rédaction, France Inter, Le 22 juin 2017, consulté le 24 Juin 2017 (en ligne), URL : https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-22-juin-2017

Publié le 27/06/2017


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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