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La conférence de « Genève 2 » sur la Syrie : l’ombre portée des « absents », au moins aussi importants que les « présents » (2/2)

Par David Rigoulet-Roze
Publié le 07/02/2014 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 6 minutes

Switzerland, Montreux : UN Secretary-General Ban Ki-moon ©, UN-Arab League Special Envoy Lakhdar Brahimi (L-2), Russia’s Foreign Minister Sergey Lavrov (L), US Secretary of the State John Kerry ® and UN acting director Genera Michael Moller (R-2) take part in the Geneva-II Conference in Montreux, Switzerland, on January 22, 2014. The conference, called Geneva II, opened in the Swiss city of Montreux with remarks by UN Secretary-General Ban Ki-moon. Representatives of about 40 countires and several international organizations will participate to find a political solution to the Syrian civil war.

Hakan Goktepe - Anadolu Agency / AFP

Lire la première partie : La conférence de « Genève 2 » sur la Syrie : les parties en présence et leurs attentes contradictoires (1/2)

Les Syriens

Du côté de l’opposition au régime de Bachar al-Assad - outre le refus du CNS de Georges Sabra d’être représenté à Genève par la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution (CNFOR), dirigée par Ahmed Jarba dont elle a fait sécession avant « Genève 2 » - une autre organisation de l’opposition syrienne, dite de l’intérieur et tolérée par le régime, le Comité de coordination nationale pour les forces de changement démocratique (CCND) et qui ne fait pas partie de la Coalition nationale de l’opposition syrienne (CNFOR), a annoncé le 15 janvier 2014 qu’elle boycottait la conférence au motif que « les conditions de sa réussite ne sont pas réunies ». Comme le justifiait l’un de ses principaux dirigeants, Haytham Manna : « Si l’opposition syrienne participe à Genève 2, c’est un suicide politique. Cela équivaudrait à capituler, à hisser le drapeau blanc. […] Les conditions pour réussir Genève 2 ne sont pas réunies. Nos demandes étaient pourtant minimes : la libération des femmes, des enfants, des handicapés et des malades emprisonnés par le régime ; l’arrêt du bombardement des zones civiles ; l’acheminement de pain et d’eau dans les zones assiégées par l’armée. Nous demandions moins qu’une organisation de charité. Nous ne demandions même pas le rétablissement de l’électricité dans les villes encerclées. Nous voulions que le régime fasse preuve d’un tout petit peu moins d’inhumanité, qu’il nous donne un petit signe de bonne volonté. Et ce petit signe, il a refusé de nous le fournir. Si la communauté internationale n’est pas capable de faire sortir un seul enfant des prisons syriennes, comment pourrait-elle être capable d’évincer Bachar al-Assad du pouvoir [1] ? ».

A l’extrême opposé du champ politique, la plus grande partie des groupes armés actifs sur le terrain militaire a officiellement dénié toute légitimité à la délégation de l’opposition présente à « Genève 2 ». Le fait est qu’une vingtaine des principaux groupes rebelles syriens actuellement actifs sur le plan militaire n’ont pas hésité à menacer dès la fin octobre 2014 les membres de l’opposition ayant manifesté leur intention de participer à la Conférence de « Genève 2 ». Selon eux, les éventuels participants à la conférence commettront une « trahison » et devront répondre devant leurs « tribunaux révolutionnaires », ont alors prévenu les brigades rebelles d’obédience islamiste déclarée, voire salafiste radicale, laissant clairement entendre qu’ils pourraient être exécutés. « Nous annonçons que la conférence ‘Genève-2’ n’est pas, et ne sera jamais le choix du peuple ou une revendication de notre révolution », précisait le communiqué de ces groupes, lu dans la soirée du 26 octobre 2014 par le chef de la brigade Souqour al-Cham (« Les faucons du Levant »), Ahmad Eissa al-Cheikh. La déclaration était signée par 22 brigades, dont al-Tawhid et Ahfad al-Rasoul, de même que par la brigade Ahrar al-Cham, l’un des principaux groupes combattant dans l’est de la Syrie, et par les brigades al-Sahaba, qui opèrent dans la région de Damas. Le « Front islamique », la plus puissante alliance de rebelles islamistes syriens constituée le 22 novembre 2013, a annoncé officiellement le 19 janvier 2014 son refus de participer à la conférence de « Genève II ». L’avenir de la Syrie « se jouera sur le terrain de l’héroïsme, et sera signé par le sang sur les lignes de front, pas lors de conférences creuses à laquelle assisteront des individus qui ne représentent même pas eux-mêmes », a ainsi écrit sur Twitter Abou Omar, un des principaux dirigeants du « Front islamique ». C’est notamment le cas du « front islamique » [2], constitué le 22 novembre 2013 et par ailleurs en lutte ouverte contre l’EIIL djihadiste aspirant à l’établissement d’un califat transnational entre l’Irak et la Syrie et alliée occasionnelle du Jabhat Al Nusra (« Le front al-Nosra ») adoubé par Ayman al-Zawahiri, actuel chef d’Al-Qaïda, le 9 avril 2013, comme la branche officielle d’Al-Qaïda en Syrie. Pour autant, cela ne fait pas du Front islamique un allié de l’ASL qu’il a d’ailleurs finit par supplanter sur le terrain militaire. Le « Front islamique », qui compterait entre 60 000 et 80 000 combattants selon diverses estimations, se définit comme « une formation socio-politico-militaire indépendante qui vise à faire tomber le régime de Bachar al-Assad et bâtir un État islamique » et n’aura « qu’un seul commandement, une seule armée - Jaish al-Islam (« L’armée de l’islam ») - et une seule politique », a indiqué son porte-parole Abou Firas, l’un des responsables de Liwa al-Tawhid, la plus importante force combattante islamiste d’Alep qui subit une pression inédite des forces du régime nonobstant la tenure de la conférence de « Genève 2 ». On peut penser que la structuration du « Front islamique » est l’oeuvre des pétro-monarchies wahhabites, notamment de l’Arabie saoudite dont le chef des services de renseignement, le prince Bandar bin Sultan, entend lutter contre la poussée chiite et les supposées menées hégémoniques de l’Iran perse via le chiisme arabe, que cela soit en Irak, en Syrie, ou au Liban. C’est d’ailleurs ce qui a justifié la posture intransigeante du président de la CNS, Ahmed Jarba [3] - encouragée en sous-main par l’Arabie saoudite - à l’invitation qui avait été faite par Ban Ki-moon à l’Iran de participer à la conférence de « Genève 2 ».

L’Iran, le « grand absent »

L’Iran avait en effet dans un premier temps été invité le 20 janvier 2014 par Ban Ki-moon. Mais rapidement, cette invitation a constitué un cas de blocage susceptible d’hypothéquer la tenue de la conférence. « L’Iran n’a jamais pris position en faveur du communiqué de ‘’Genève 1’’ [sur les modalités implicites d’une transition organisée éventuellement sans Bachar al-Assad]. Nous attendons que l’invitation soit retirée » avait tenu à faire savoir le Département d’Etat américain. A contrario du russe Serguei Lavrov qui indiquait que l’absence de l’Iran constituerait « une erreur impardonnable ». L’Iran, fortement impliqué sur le terrain syrien auprès du régime de Bachar al-Assad avec nombre de Pasdarans de la force Al Qods, s’était engagé à jouer « un rôle positif et constructif » pour aider à trouver une solution politique au conflit syrien.

Cela n’a pas empêché Téhéran de participer en coulisses. La conférence a été préparée en amont le 16 janvier à Moscou, où le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif s’est ouvertement félicité - non sans une certaine malice – de la « bonne coordination » entre la Syrie, la Russie et l’Iran sur les attendus de la conférence de « Genève 2 ». Il s’est d’ailleurs dit qu’une délégation iranienne confidentielle aurait discrètement pris ses quartiers à Montreux pour participer « de loin » aux réunions de la conférence [4]. Certaines informations non-confirmées ont même fait état de la tenue à Berne de réunions secrètes en parallèle des pourparlers de Genève, en présence de représentants iraniens à propos du dossier syrien [5]. Cette rumeur a provoqué une réaction acerbe d’Ahmad Tomeh, Premier ministre par intérim élu le 14 septembre 2013 à la tête d’un « gouvernement provisoire » constitué le 14 novembre 2013 à Istanbul par l’opposition syrienne : « nous avons mis à la porte de Genève les Iraniens, comment aurions nous pu supporter qu’ils reviennent par la fenêtre ». L’information, relayée notamment par la chaîne qatraie Al-Jazira le 30 janvier 2014, a depuis fait l’objet d’un démenti officiel de la part du vice-ministre des Affaires étrangères pour le monde arabe et africain, Hossein Amir Abdollahian [6]. Sans réellement convaincre les détracteurs de la partie opposée.

Publié le 07/02/2014


David Rigoulet-Roze, docteur en Sciences politiques, est enseignant et chercheur, ainsi que consultant en relations internationales, spécialisé sur la région du Moyen-Orient et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques. Il est chercheur à l’Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS) où il est en charge depuis 2006 d’une veille stratégique entre l’Iran et les pays arabes particulièrement préoccupés de l’éventuelle accession de l’Iran au statut de puissance nucléaire. Il est également chercheur associé à l’Institut de Recherches Internationales et Stratégiques (IRIS) ainsi qu’à l’Institut européen de recherche sur la coopération Méditerranéenne et Euro-arabe (MEDEA) de Bruxelles. Outre de nombreux articles, il a notamment publié Géopolitique de l’Arabie saoudite : des Ikhwans à Al-Qaïda (Armand Colin, 2005) et L’Iran pluriel : regards géopolitiques (l’Harmattan en 2011). Il enseigne également la Géopolitique et les Sciences Politiques dans le supérieur.


 


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