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Par Oriane Huchon
Publié le 07/02/2017 • modifié le 27/02/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Lire la partie 1 : La démographie dans le monde arabe (1/2)

II. Des sociétés urbanisées

La région compte de nombreuses grandes villes, dont 8 parmi les 100 plus grandes villes du monde. Le Caire est la plus grande ville du monde arabe et la 10e plus grande ville du monde avec près de 22 millions d’habitants en 2015/2016. Tous les pays de la région présentent des taux d’urbanisation (1) supérieurs à 60 %, à l’exception du Yémen et de l’Egypte, qui en 2015 étaient urbanisés respectivement à hauteur de 35% et de 43% de la population nationale.

Carte : Villes et populations urbaines du Moyen-Orient et du Maghreb



Tableau : Les grandes villes du Moyen-Orient et du Maghreb (population supérieure à 4 millions d’habitants)

Rang mondialVilles Pays Population
10 Le Caire Egypte 21 969 528 hab.
21 Téhéran Iran 15 232 564 hab.
24 Istanbul Turquie 14 657 434 hab.
39 Bagdad Irak 10 634 225 hab.
56 Alger Algérie 7 796 923 hab.
77 Riyad Arabie saoudite 6 152 180 hab.
86 Dubaï Emirats arabes unis 5 429 549 hab.
91 Ankara Turquie 5 150 072 hab.
115 Koweït Koweït 4 420 031 hab.
116 Aman Jordanie 4 405 470 hab.
120 Casablanca Maroc 4 270 750 hab.
121 Izmir Turquie 4 113 072 hab.
123 Djeddah Arabie saoudite 4 082 184 hab.
139 Bassorah Irak 3 802 881 hab.
143 Damas Syrie 3 688 278 hab.
148 Ispahan Iran 3 569 639 hab.
149 Tel Aviv-Jaffa Israël 3 555 666 hab.

Source : www.populationdata.net

III. Profil des populations régionales

Les populations de la région sont urbanisées, mais aussi jeunes et éduquées. Le graphique suivant illustre la part importante des moins de 14 ans et des 15 – 64 ans dans les sociétés du Maghreb et du Moyen-Orient, en comparaison de l’âge des populations vieillissantes de l’Union européenne. Avec le baby-boom actuel, cette tendance ne sera pas inversée dans les années à venir.

Graphique : Une population jeune en Afrique du Nord et au Moyen-Orient



L’emploi et l’éducation des jeunes représentent un défi des Etats de la région. Ces jeunes sont diplômés, ils vont à l’école et à l’université. Pourtant, beaucoup se trouvent au chômage, une fois arrivés à l’âge adulte. Il en résulte un important déséquilibre social, qui a trouvé son paroxysme dans les printemps arabes de 2011. Dans leur ouvrage Le rendez-vous des civilisations, Youssef Courbage et Emmanuel Todd, tous deux démographes à l’Ined, font remarquer : « Le progrès culturel déstabilise les populations. Nous devons nous représenter concrètement ce qu’est une société où l’alphabétisation devient majoritaire : un monde dans lequel les fils savent lire, mais non les pères. L’instruction généralisée ne tarde pas à déstabiliser les relations d’autorité dans la famille. […] Ces ruptures d’autorité produisent une désorientation générale de la société, et le plus souvent, des effondrements transitoires de l’autorité politique. Autrement dit, l’âge de l’alphabétisation et de la contraception est aussi, très souvent, celui de la révolution. ». L’historienne Chantal Verdeil ou le démographe Philippe Fargues expliquent qu’une transition démographique si rapide ne peut qu’entraîner des changements politiques, surtout lorsque les jeunes se voient confisquer le pouvoir, font face à des inégalités criantes, ou sont au chômage malgré leurs diplômes. « Ainsi, le printemps arabe correspond à la fois à une certaine maturation des sociétés et à l’aboutissement d’une transition démographique rapide » (Clément Pellegrin, Le printemps arabe au prisme de la démographie ).

IV. La transition démographique remise en question par les révolutions arabes ?

Les printemps arabes ont eu une conséquence démographique inattendue pour les spécialistes. La transition démographique est achevée, ou bien avancée, dans la plupart des Etats de la région. La hausse du niveau d’éducation des femmes, la modernisation, l’accès à la contraception, sont autant de facteurs qui jouent en faveur de la baisse de la natalité. Les enfants naissent aujourd’hui avec une espérance de vie moyenne de 74 ans sur la région, ce qui est supérieur à la moyenne mondiale. Le cas le plus proche des sociétés européennes est celui de la Tunisie. La baisse de la natalité régionale a été planifiée par les régimes en place après les indépendances (Nasser en Egypte, Bourguiba en Tunisie…).

Pourtant, contrairement aux prévisions des démographes, les pays arabes n’ont pas terminé leur explosion démographique. Youssef Courbage, démographe spécialiste du monde arabe à l’Ined, explique dans ses travaux qu’alors que les taux de fécondité ont largement diminué ces cinquante dernières années jusqu’à atteindre 2 enfants par femme dans la majeure partie des pays arabes, ils sont à présent à nouveau en hausse, depuis la fin des années 2000, et encore plus depuis les révolutions arabes de 2011. Ainsi, par exemple, selon les démographes, la population égyptienne pourrait atteindre 162 millions d’habitants en 2050 (91 millions en 2015), ce qui représente un réel défi pour les pouvoirs publics.

Youssef Courbage donne plusieurs éléments pour comprendre ce phénomène. Il écarte tout d’abord l’idée que cette reprise de la natalité serait liée à une réislamisation des sociétés. Il avance en revanche des facteurs économiques et sociaux, et explique que le taux d’emploi féminin dans les pays arabes est de seulement 20 à 25%, et ce malgré l’alphabétisation et l’éducation des femmes. Ce taux est le plus bas du monde et ne se retrouve dans aucune autre région du globe. Il « n’offre pas un terrain suffisamment solide pour assurer la pérennisation de la transition démographique » (Youssef Courbage, L’Opinion, octobre 2015).

Il faut toutefois remarquer que les mentalités ont évolué depuis les années 1950. Aujourd’hui, tous les enfants sont scolarisés et alphabétisés dans le monde arabe, ils ne sont plus envoyés aux champs dès leur plus jeune âge. Mais, comme l’explique Y. Courbage, en temps de crise, « il y a la tentation de se raccrocher aux valeurs traditionnelles, parmi lesquelles la plus solide est la famille » (Tribune de Genève, novembre 2015). Et les sociétés arabes sont marquées depuis les révolutions par une certaine instabilité, voire par la guerre. D’ailleurs, les sociétés qui se considèrent vulnérables ou en danger (comme les Israéliens, les Palestiniens, ou encore les Syriens réfugiés au Liban) sont celles avec les plus fortes natalités. Dans le cas bien connu d’Israël et de la Palestine, il s’agit d’une véritable guerre démographique, avec un taux de fécondité à 3,1 enfants par femme en Israël et 4,2 enfants par femme dans les Territoires palestiniens.

Précisons, enfin, que ces valeurs traditionnelles de la famille, de la descendance nombreuse et du modèle familial patrilinéaire (2), n’ont jamais disparu en Arabie saoudite et dans les Emirats du Golfe. Dans ces Etats, la natalité est toujours restée forte.

Notes :
(1) Sont comptées dans la population urbaine toutes les personnes domiciliées dans les villes et les villages d’au moins 1000 habitants.
(2) Patrilinéaire : association d’un père et de ses fils mariés. Les règles d’héritages ne tiennent compte en pratique que des hommes.

Données :
 Toutes les données, à l’exception de la population des villes, proviennent de la Banque mondiale et réfèrent à l’année 2015 (sauf indication contraire, le cas échéant).
 Pour la population des villes : www.populationdata.net

Bibliographie :
 Jerry Bowyer, « Youth in Revolt : The Demographics Behing Middle Eastern Uprisings », Forbes, 18 juillet 2013.
 Bernard Bridel, « L’intrigant baby-boom des pays du Printemps arabe », La Tribune de Genève, 6 novembre 2015.
 Youssef Courbage, Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisations, Paris, Editions du Seuil, La République des Idées, 2007.
 Youssef Courbage, « Le temps de la jeunesse arabe », Le Monde diplomatique, Juin 2011.
 Jean-Dominique Merchet, « Le baby-boom imprévu du monde arabe », L’Opinion, 18 octobre 2015.

Publié le 07/02/2017


Oriane Huchon est diplômée d’une double licence histoire-anglais de la Sorbonne, d’un master de géopolitique de l’Université Paris 1 et de l’École normale supérieure. Elle étudie actuellement l’arabe littéral et syro-libanais à l’I.N.A.L.C.O. Son stage de fin d’études dans une mission militaire à l’étranger lui a permis de mener des travaux de recherche sur les questions d’armement et sur les enjeux français à l’étranger.


 


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