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La place de l’Union européenne dans le conflit israélo-palestinien

Par Amicie Duplaquet
Publié le 31/12/2015 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 9 minutes

A Palestinian refugee receives a sack of white flour, sent by the European Union as humanitarian aid to Palestinians, in Gaza Strip’s Jabalia refugee camp 24 April 2001. Belgian Foreign Minister Louis Michel, who is touring the region to discuss ways for ending the cycle of violence and reviving peace talks between Israel and the Palestinians, visited the camp earlier in the day.

AFP PHOTO/Fayez NURELDINE

La formation d’une relation complexe entre l’Europe et Israël

La place de l’UE dans le conflit israélo-palestinien est indissociable des rapports complexes qu’elle entretient avec l’État hébreu. Ces rapports sont très anciens et il faut rappeler à ce titre que les racines du sionisme, bien avant l’établissement de l’État juif, sont européennes.

Durant les deux décennies qui suivent la création d’Israël, les puissances européennes lui apportent un soutien unanime. L’explication la plus souvent avancée sur le capital de sympathie dont bénéficie alors Israël coïncide, en Europe, avec la découverte de l’ampleur du génocide nazi dans les années d’après-guerre. La culpabilité européenne serait alors à l’origine d’un soutien diplomatique sans faille envers la poignée de survivants qui tentent de reconstruire une nation juive sur la terre de leurs ancêtres. Il faut aussi ajouter à cette explication que la première génération des Juifs qui a émigré en Palestine est majoritairement composée d’Européens. Politiquement, cela représente un avantage conséquent pour les diplomaties européennes, qui peuvent désormais compter sur ce qu’elles considérent être une projection occidentale au cœur du Proche-Orient.

Cette sympathie européenne n’est, en revanche, pas réciproque en Israël, où l’ancienne aversion contre le vieux continent s’entretient dès 1948. En effet, chez la première génération d’Israéliens, l’Europe est avant tout synonyme des décennies de persécution du peuple juif. Avi Primor (1), ancien ambassadeur d’Israël à Bruxelles, explique à ce titre que « l’histoire de l’Europe est celle de la souffrance, de persécution, de l’humiliation et finalement de l’extermination du peuple juif ». Ce ressenti historique forge dès les premières années une certaine méfiance israélienne à l’égard des pouvoirs européens. À la fin des années 1960, dans un contexte de décolonisation, les puissances européennes, et particulièrement la France, commencent à prendre conscience de l’existence des Palestiniens en tant que peuple. Dans le langage politique européen, le « peuple palestinien » remplace alors progressivement les « Arabes » d’Israël. Dans le champ politique israélien, c’est le début de la construction d’une représentation de l’Europe hostile et pro-palestinienne. La guerre des six jours est le premier renversement de perspective en Europe, les nouvelles conquêtes territoriales modifiant la représentation d’un État israélien menacé par des voisins arabes hostiles. Cette guerre est aussi l’événement qui révèle l’incapacité de l’Europe à défendre une position commune sur le conflit israélo-arabe, la position des six (RFA, Luxembourg, France, Italie, Pays-Bas) étant divergente au lendemain du conflit. La plupart d’entre eux adopte la ligne pro-israélienne, tandis que l’Italie et la France (2) condamnent l’action militaire israélienne.

Durant la décennie 1970, plusieurs événements contribuent à modifier définitivement l’appréhension européenne d’Israël, et inversement. Le choc pétrolier de 1973, consécutif de la guerre du Kippour, fait prendre conscience aux Européens qu’ils doivent désormais composer avec les intérêts des pays arabes. C’est à ce moment qu’un dialogue euro-arabe commence à se mettre en place. C’est aussi à cette occasion que les Européens adoptent finalement une position commune sur le conflit, par le biais de la « Charte européenne ». La déclaration du 6 novembre 1973 (3) constitue un tournant dans le sens où elle exprime une position européenne commune en faveur du monde arabe, et donc des Palestiniens. L’acquisition des territoires par la force y est condamnée, des droits sont reconnus aux Palestiniens et il est demandé à Israël de mettre un terme à son occupation territoriale.

La victoire du Likoud aux élections législatives de 1977 amorce un long basculement à droite en Israël, tandis qu’au même moment l’OLP renonce progressivement aux actions terroristes et entame une « socialisation » sur le plan international. Ce contexte amène les Européens à effectuer un rapprochement avec l’organisation palestinienne, tandis que la politique du nouveau gouvernement du Likoud continue de les éloigner d’Israël. Deux ans plus tard, la Communauté européenne est évincée des accords de Camp David, ce qui lui permet déjà de se démarquer des positions américaines sur ce dossier. Cette démarcation se refait sentir en juin 1980, avec la Déclaration de Venise (4), par le biais de laquelle les États européens exposent pour la première fois une position commune dans le conflit israélo-arabe. La ligne de l’Europe y est exposée de manière très précise : le droit à la reconnaissance et à la sécurité pour tous les États de la région et la justice pour tous ses peuples, ce qui implique la reconnaissance des droits palestiniens. Le droit d’Israël à exister en paix et en sécurité est, pour la première fois dans un texte officiel, assorti au droit des Palestiniens à l’autodétermination.

Malgré ces initiatives, l’Europe continue cependant d’hésiter entre alignement et prise de positions. La deuxième intifada, et la violence qu’elle engendre entre les deux parties, conduit notamment plusieurs dirigeants européens à adopter une position critique à l’égard du gouvernement d’Ariel Sharon, qui dénonce en retour « l’antisémitisme déchainé qui se répand en France » (5), s’attirant ainsi les foudres de Paris. La multiplication de ce que le gouvernement israélien considère comme des prises de parties en faveur des Palestiniens, ainsi que l’absence de l’Europe du processus de négociation, va contribuer à entretenir la méfiance israélienne à l’égard de l’Europe. Si dans les premières années de l’existence d’Israël ce sentiment découlait d’événements historiques, il s’explique désormais politiquement.

Paradoxalement, l’Europe développe à partir des années 1970 de solides relations dans les domaines économiques, commerciaux et scientifiques. Des accords de libre-échange qui lient l’Europe à l’État hébreu, notamment l’accord d’association de 1995, prévoient un très large échange de biens et services. Les échanges entre les deux sont estimés à trente milliards par an (6). Au-delà des discordes sur le conflit, l’EU est rapidement devenue le principal partenaire économique d’Israël, avec près de 50% de ses importations et 35% de ses exportations. De même, l’État hébreu est le seul pays non européen à faire partie de l’espace scientifique de l’UE, via sa participation au programme-cadre de recherche et de développement. Ces relations économiques, scientifiques et commerciales comptent beaucoup pour Israël, ce qui offre à l’UE un certain moyen de pression lorsqu’il en vient à sa politique palestinienne.

La stratégie financière de l’UE dans le conflit israélo-palestinien

Si l’Union Européenne n’est pas réputée pour des prises de positions tranchées, ou par une politique étrangère classique sur le dossier israélo-palestinien, il n’en reste pas moins que l’Europe a un rôle à tenir dans la résolution de ce conflit. Pour l’UE, ce rôle n’a de sens que s’il se traduit par des actions concrètes sur le terrain, et donc par une assistance financière.

Si elle entretient une relation économique privilégiée avec Israël, la Communauté européenne est aussi devenue dès les années 1970 l’un des bailleurs de fonds réguliers de l’UNRWA, l’office des Nations unies pour les réfugiés Palestiniens dans le Proche-Orient. À partir des années 1980, l’Europe commence à s’investir au-delà de l’aspect humanitaire et développe des relations commerciales avec les Territoires palestiniens.

Les accords d’Oslo marquent un tournant dans la politique de coopération européenne puisqu’ils lui permettent dorénavant de s’associer avec un interlocuteur internationalement reconnu : l’OLP. Signé en 1997, l’accord d’association euro-méditerranéen intérimaire relatif aux échanges et à la coopération constitue jusqu’à aujourd’hui la base juridique des relations entre l’UE et l’Autorité palestinienne. Dans l’immédiat d’après l’accord d’Oslo I, l’Europe lance un grand programme d’aide à la population palestinienne : 1,5 milliards (7) sont débloqués sur la période 1994-1998 ; 441 millions sur le budget communautaire ; 864 millions par les États-membres et 184 millions en prêts de la Banque européenne.

Du point de vue européen, ces aides financières doivent permettre la construction d’un État palestinien par le bas, en participant financièrement à la création et à la consolidation d’institutions paraétatiques en mesure de fonctionner si un accord de paix doit être conclu. Aujourd’hui, l’UE reste le principal donateur de l’Autorité palestinienne. Additionnée à l’aide supplémentaire octroyée par ses États-membres, l’Europe verse chaque année plusieurs milliards au gouvernement cisjordanien. Aucune autre région du monde ne bénéficie d’une telle aide de la part de l’UE.

Au-delà de son objectif affiché de renforcement des institutions palestiniennes en Cisjordanie, l’UE espère aussi contribuer à la marginalisation du Hamas et au retour du Fatah dans la bande de Gaza. En effet, en 2011 et suite aux révolutions égyptiennes, tunisiennes et syriennes, des manifestations en Cisjordanie et à Gaza appellent à une union nationale entre les deux gouvernements palestiniens. L’Autorité palestinienne et le Hamas s’accordent alors à la constitution d’un gouvernement de réconciliation. Cette tentative, qui n’est qu’éphémère, concrétise aussi l’isolement de Hamas, qui perd ses principaux partenaires internationaux des suites des révolutions arabes. L’Egypte du général al-Sissi abhorre le mouvement islamiste, tandis que la Syrie d’al-Assad, et par extension l’Iran, lui tiennent rigueur de son soutien apporté à la rébellion sunnite. Le Hamas ainsi affaibli, l’UE espérait que les – multiples – tentatives de formation d’un gouvernement d’union nationale, bénéficiant d’aides européennes, suffirait à marginaliser le mouvement islamiste et à faciliter le retour l’Autorité palestinienne à Gaza. Pourtant, et bien qu’il soit internationalement isolé, le Hamas n’a jamais été aussi populaire parmi la population palestinienne en Cisjordanie. L’opération « bordure protectrice » de l’été 2014 a contribué à renforcer l’attrait du Hamas, mais aussi parce que l’Autorité palestinienne affiche en Cisjordanie des niveaux records de corruption et d’inefficacité. Son appareil judiciaire manque d’indépendance et son exécutif n’est pas contrôlé. Le Conseil législatif palestinien, l’équivalent du Parlement, n’a pas été renouvelé depuis 2007, tandis que le mandat de Mahmoud Abbas a officiellement pris fin le 9 janvier 2008. Depuis la démission du Premier ministre Salam Fayyad en 2013, l’économie cisjordanienne est retombée dans la corruption, remettant ainsi en cause la stratégie politique de l’UE. La « bonne gouvernance » que l’Europe espérait mettre en place grâce à ses aides en Cisjordanie fait, jusqu’à présent, cruellement défaut.

À mesure de l’enlisement du processus de paix, l’UE a dû diversifier ses aides aux Territoires palestiniens. Les « quick impact project », ou initiatives à courts termes, ont pris une grande importance dans le budget européen destiné aux Palestiniens. Dans une situation sociale, économique et sécuritaire régulièrement au bord de l’implosion, ces projets, à petite échelle et à court terme, sont conçus pour avoir un effet immédiat censé contribuer à une stabilisation momentanée. Toutefois, les conséquences des décennies d’occupation de la Cisjordanie rendent aujourd’hui la marge d’action de l’UE très limitée lorsqu’elle veut agir directement sur le terrain, et ce même dans le cas des initiatives à court terme. Ce territoire ne maîtrisant ni l’usage de ses ressources, ni de ses frontières, ses possibilités de coopération avec l’Union européenne sont encore aujourd’hui structurellement limitées.

Au-delà de son aide aux institutions palestiniennes, l’Europe contribue aussi régulièrement à l’aide humanitaire d’urgence, en particulier à Gaza. Depuis 2011, l’UE a versé 19 millions d’euros à l’UNRWA (8), dont 5 millions à un programme de création d’emplois à Gaza – où le taux de chômage chez les jeunes s’approche des 70%. Suite à l’opération « bordure protectrice », dont le bilan économique des pertes s’élève à 3,6 milliards de dollars (9) pour la bande de Gaza, l’Union européenne a promis de verser une somme de 450 millions d’euros, lors de la conférence du Caire.

Toute l’ambiguïté de l’aide européenne aux Territoires palestiniens peut donc se résumer dans l’alternance entre une perfusion humanitaire dans la bande Gaza, car elle ne peut traiter plus en avant avec le gouvernement du Hamas, et une tentative de state-building aux résultats contestables en Cisjordanie. Au final, l’UE contribue à la mise sous perfusion de la population palestinienne, aussi bien en Cisjordanie qu’à Gaza, pour qui cette aide est cruciale, à défaut d’un véritable processus de paix. Cette situation est souvent avancée pour expliquer les accusations du financement implicite de la colonisation par l’Union européenne. En effet, le régime d’occupation implique des retombées dans l’économie israélienne pour chaque euro dépensé au profit des Palestiniens, ne serait-ce que pour les droits de douanes. Comme sur le plan diplomatique, l’Europe se trouve donc partagée dans sa stratégie économique entre une volonté d’action pour améliorer le sort des Palestiniens et un relatif immobilisme face à la politique israélienne de fait accompli.

Bien que ses aides soient aujourd’hui essentielles aux Palestiniens, l’UE pourrait faire plus si le régime d’occupation ne réduisait pas sa marge de manœuvre. La stratégie financière de l’Europe dans les Territoires palestiniens gagnerait donc à être accompagnée d’une action politique qui irait dans le sens de ses objectifs de développement. Toutefois, les déboires des accords d’Oslo I et II peuvent laisser envisager que les États-Unis semblent de moins en moins en capacité de s’investir efficacement dans le processus de paix, ce qui pourrait laisser un nouveau champ libre à la diplomatique européenne.

Notes :]
(1) Avi Primor, L’Europe, Israël et le Proche Orient, Outre-Terre, Revue française de géopolitique, numéro 9, avril 2004, pp. 329-340.
(2) http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00139/conference-de-presse-du-27-novembre-1967.html
(3) http://www.cvce.eu/content/publication/1999/1/1/a08b36bc-6d29-475c-aadb-0f71c59dbc3e/publishable_fr.pdf
(4) http://www.medea.be/fr/themes/organisations-et-diplomaties-internationales/declaration-de-venise-1980/
(5) http://www.leparisien.fr/politique/juifs-francais-l-appel-de-sharon-19-07-2004-2005150779.php
(6) http://www.franceculture.fr/emission-les-enjeux-internationaux-israel-les-relations-de-plus-en-plus-contrariees-entre-l%E2%80%99union-eu
(7) http://www.medea.be/fr/pays/palestine/territoires-palestiniens-occupes-tpo/
(8) http://www.unmultimedia.org/radio/french/2015/02/gaza-lunion-europeenne-contribue-5-millions-a-un-programme-de-creation-demplois-de-lunrwa/
(9) http://latribunedeterresainte.com/2014/09/05/bordure-protectrice-le-bilan-humain-et-materiel-a-gaza/

Publié le 31/12/2015


Amicie Duplaquet est étudiante à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, en Master Coopération et développement au Maghreb et Moyen-Orient. Après avoir suivi des cours de sciences politiques à l’université de Birzeit, en Cisjordanie, elle a réalisé un mémoire sur les conséquences du printemps arabe sur la stratégie israélienne et prépare une thèse sur le même sujet à l’Institut Français de Géopolitique. 


 


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