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Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 14/12/2010 • modifié le 27/02/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Portrait non daté de Lawrence d’Arabie

AFP

Les multiples facettes de sa personnalité et de ses actes suscitent les interrogations et les polémiques parmi ses contemporains, comme le relate Benoist-Méchin : « Faut-il s’étonner, (…), si les critiques, déroutées par la complexité du personnage, ont porté sur lui les jugements les plus contradictoires ? Il aura été ‘’Un Tartuffe, un mythomane et un imposteur sans scrupule’’ pour Richard Aldington ; ‘’un baladin assoiffé de publicité personnelle’’, pour Lord Thomson ; ‘’une vraie menace pour la civilisation’’, pour Robert Grave ; ‘’un super espion auquel il serait temps d’arracher le masque’’, pour Ernest Thurtle, député aux communes ; peut-être ‘’un traitre’’, aux yeux de l’Emir Fayçal et du Chérif Hussein, pour lesquels il avait pourtant bataillé toute sa vie ». [1] D’autres en revanche, dont Winston Churchill, « qui savait juger les hommes, a proclamé hautement : ‘’Outre ses capacités multiples, Lawrence possédait la marque du génie, que tout le monde s’accorde à reconnaître mais que nul ne peut définir… Se mouvant en marge des courants habituels de l’activité humaine, aussi prompt à la violence qu’au plus haut sacrifice, il était un être solitaire, austère, l’habitant des cimes (…). Il eut toujours beaucoup d’ascendant sur tous ceux qui l’approchent. Ils se sentaient en présence d’un être extraordinaire (…). Il paraissait vraiment ce qu’il était : un des plus grands princes de la nature… Je n’ai jamais rencontré son pareil ». [2] L’œuvre autobiographique de Thomas Edward Lawrence, The Seven Pillars of Wisdom (Les sept piliers de la sagesse), a servi de source à ses biographes.

Sa jeunesse

Il est né le 16 août 1888 dans le pays de Galles, et est le fils de Thomas Robert Chapman et de sa compagne, Sarah Maden. Thomas Robert Chapman quitta en effet son épouse, volage, pour vivre avec la gouvernante de ses premiers enfants, Sarah Maden, et prit alors comme nom de famille Lawrence. Thomas Edward Lawrence fait ses études dans la ville d’Oxford, au Jesus College, et s’intéresse à l’histoire, en particulier aux croisades, aux châteaux forts et aux bédouins. Cet attrait le pousse à entreprendre un voyage au Moyen-Orient. Il arrive ainsi à l’été 1909 à Beyrouth, puis se rend à Sidon (Saïda), en Galilée, à Tibériade, à Nazareth, Haïfa, Saint Jean d’Acre et Tyr. Il entreprend ensuite de visiter la Syrie du Nord. Mais son attrait intellectuel pour les croisades laisse progressivement la place aux Arabes, qui « exercent un attrait particulier sur mon imagination. Ils représentent l’antique civilisation qui a su se libérer des dieux du foyer et de la plupart des entraves dont nous nous chargeons avec empressement ». [3] Il se rend ensuite dans la région du haut Euphrate, regagne Alep et Beyrouth, et rentre en Angleterre. Il soutient alors sa thèse sur L’influence des croisades sur l’architecture militaire d’Europe, jusqu’à la fin du XIII ème siècle, et obtient la meilleure mention.

Les années au Moyen-Orient

Il retourne alors au Moyen-Orient en 1911, au sein de l’équipe archéologique de son professeur, Hogarth, qui fouille le site de Karkemish, en Syrie du Nord, sur l’Euphrate. Il poursuit en parallèle l’étude de la langue arabe. Dans le contexte troublé de l’avant Première Guerre mondiale dans l’Empire ottoman, et dans celui de la recherche de zone d’influences par les puissances occidentales, Lawrence noue des contacts avec les personnalités locales. Il est ainsi convaincu par ses contacts que l’Empire ottoman est sur le point de s’effondrer. Les fouilles de Karkemish étant terminées, Lawrence et le successeur de Hogarth, Woolley, prospectent dans le désert du Sinaï en janvier 1914. En réalité, leur mission d’archéologie permet de couvrir leur véritable tâche, celle d’effectuer des travaux de cartographie pour le service de cartographie de l’Etat-Major britannique, dans la région du Sinaï.

Le déclenchement de la guerre est l’occasion pour Lawrence de quitter ses fonctions d’archéologue et d’entrer au « Bureau arabe », c’est-à-dire au service de renseignements britanniques pour les affaires arabes. A la demande de la famille Hachémite, il se rend dans le Hedjaz et rencontre l’un d’eux, Abdallah, fils du chérif Hussein de La Mecque. La région du Hedjaz, dans laquelle se situent La Mecque et Médine, les deux villes saintes de l’islam, est en effet sous la domination ottomane. A l’occasion du déclenchement de la guerre, des réseaux d’oppositions se mettent en place contre les Ottomans, tant en Syrie, en Mésopotamie que dans le Hedjaz. La famille hachémite souhaite en effet entrer en guerre contre les Ottomans afin de se débarrasser de leur tutelle, et pour y parvenir, sollicite les Britanniques. La volonté de parvenir à la création d’un grand royaume arabe apparaît comme l’un des objectifs des Hachémites, en échange de leur participation à l’insurrection arabe. De leur côté, les Britanniques ont besoin de s’assurer le concours des Hachémites afin de reprendre cette région aux Ottomans et de sécuriser le canal de Suez et la route des Indes. Une correspondance (correspondance Hussein-MacMahon), échangée en 1915 entre le chérif Hussein et le haut-commissaire britannique en Egypte Mac-Mahon, scelle les termes de leur échange : déclenchement par les armées hachémites de la révolte arabe ; reconnaissance par la Grande-Bretagne de l’indépendance d’un Etat arabe, composé des régions arabes, c’est-à-dire de la péninsule arabique, de la Mésopotamie et de la Grande Syrie. Une réserve est cependant posée par la Grande-Bretagne concernant la Mésopotamie et les régions côtières syriennes, qui correspondent aux zones que souhaitent se préserver Britanniques et Français. En parallèle, ces derniers se partagent également la région (accords Sykes-Picot de mai 1916), sans en informer le chérif Hussein, qui déclenche la révolte arabe le 10 juin 1916. Le jeu des puissances est analysé par Lawrence qui, s’il lutte contre les Ottomans, se heurte également aux ambitions des Français : « Toute sa vie, Lawrence aura éprouvé deux haines également farouches : celles des Turcs, qui ont conquis le monde arabe au XV ème siècle, et celle des Français, dont il soupçonne les visées sur la Syrie et le Liban. Si les Turcs ont confisqué dans le passé l’indépendance du monde arabe, les Français, à ses yeux, menacent son intégrité future ». [4] Ainsi Lawrence craint-il les Français pour leurs actions qu’il considère comme contraires à l’émancipation arabe, tandis que les Britanniques sont hostiles à la France, mais pour une autre raison : elle s’oppose en effet aux ambitions britanniques et à leur volonté de créer un Empire allant de l’Egypte à la Mésopotamie.

Lawrence est ainsi reconnu comme étant le meneur et l’inspirateur des actions militaires de la révolte arabe. Il s’appuie pour ce faire sur le nationalisme arabe et sur le projet de royaume voulu par Hussein de La Mecque : « leur permettre (aux populations) de transformer toutes les provinces de langue arabe jusqu’ici assujetties à la Turquie en une fédération gouvernée par des princes de la famille des Hachémites ». [5] A la suite du déclenchement de la révolte, les armées hachémites, sous le commandement de Fayçal, autre fils de Hussein avec lequel Lawrence noue des relations d’amitié, reprennent La Mecque et Djedda, mais ne parviennent pas à reprendre Médine. En janvier 1917, les troupes arabes, conduites par Fayçal, marchent vers la voie de chemin de fer Médine-Damas, afin de la couper et d’interrompre les communications entre Médine et l’Empire. Le 6 juillet, Lawrence reprend le port d’Akaba, accompagné de 2000 hommes. Il entre en décembre 1917, aux côtés du général Allenby, dans Jérusalem. Mais son but, avec Fayçal, est la prise de Damas. C’est chose faite le 1er octobre 1918, lorsqu’ils entrent tous deux dans la ville, avec les armées hachémite et britannique. Ces dernières poursuivent leur avancée dans le nord de la Syrie.

A la suite de la prise de Damas, Lawrence décide de rentrer en Grande-Bretagne. Si son rêve d’avoir pu donner l’indépendance aux Arabes semble s’être réalisé, en revanche, la signature des accords Sykes-Picot par les Français et les Britanniques lui apparaît comme une trahison. Selon Lawrence, « le bruit de cet artifice atteignit certaines oreilles arabes par le canal de la Turquie. Les Arabes, qui avaient vu mon amitié et ma sincérité à l’épreuve des combats, me demandèrent de garantir les promesses du gouvernement britannique. Je n’avais jamais été officiellement averti, ni même amicalement renseigné, sur les engagements de Mac Mahon et le traité Sykes-Picot : tous deux avaient été établis par les bureaux du Foreign Office. Mais comme je n’étais pas absolument idiot, je voyais bien que si nous gagnions la guerre, les promesses faites aux Arabes seraient un chiffon de papier. Si j’avais été un conseiller honnête, j’aurais dû renvoyer mes hommes chez eux au lieu de les laisser risquer leur vie pour ces histoires douteuses. Mais l’enthousiasme arabe n’était-il pas notre meilleur atout dans cette guerre du Proche-Orient ? J’affirmais donc à mes compagnons de lutte que l’Angleterre respectait la lettre et l’esprit de ses promesses ». [6] Il quitte alors l’Orient, avec le sentiment d’avoir été trahi et surtout d’avoir trahi la cause des Arabes.

Après la désillusion

Lawrence participe néanmoins à la conférence de la paix qui s’ouvre à Paris le 18 janvier 1919, en tant que membre de la délégation britannique, mais tout en apportant son soutien à Fayçal. Mais les jeux sont faits. Fayçal et la délégation arabe n’obtiennent rien à la conférence de la paix, la France et la Grande-Bretagne devenant puissances mandataires, la première en Syrie et au Liban, la seconde en Palestine, Transjordanie et Irak. Le doute subsistera chez Fayçal d’avoir été manipulé par Lawrence afin de s’assurer sa participation à la guerre contre les Ottomans, du côté des Britanniques.

En 1922, à la demande de Churchill alors secrétaire d’Etat aux Colonies, Lawrence devient son conseiller. Il œuvre à ce que le mandat irakien soit remplacé par un traité d’alliance avec la Grande-Bretagne, et est chargé de plusieurs missions en Transjordanie et en Arabie. Il démissionne le 4 juillet 1922.

Il publie Les sept piliers de la sagesse en 1922 et s’engage dans la RAF pendant 13 ans, jusqu’en février 1935. Il meurt à la suite d’un accident de moto le 19 mai 1935.

Bibliographie :
Jacques Benoist-Méchin, Lawrence d’Arabie ou le rêve fracassé, Lausanne, Ed. Clairefontaine, 1961, 278 pages.
André Guillaume, Lawrence d’Arabie, Paris, Fayard, 2000, 424 pages.
Robert Mantran, « Lawrence d’Arabie », Encyclopédie Universalis, 2009.

Publié le 14/12/2010


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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