Appel aux dons jeudi 28 mars 2024



https://www.lesclesdumoyenorient.com/2415



Décryptage de l'actualité au Moyen-Orient

Plus de 3000 articles publiés depuis juin 2010

jeudi 28 mars 2024
inscription nl


Accueil / Actualités / Analyses de l’actualité

Les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite, état des lieux (2/2)

Par Matthieu Saab
Publié le 09/05/2017 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Iran’s President Mohammed Khatami ® welcomes Saudi Crown Prince Abdullah ibn Abed al-Aziz 08 December 1997 at Mehrabad airport near Tehran. The Saudi crown prince is in Tehran to attend the Organization of the Islamic Conference (OIC) summit, which will start 09 December.

MARWAN NAAMANI / AFP

Lire la partie 1 : Les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite, état des lieux (1/2)

Pourquoi un conflit direct entre Iraniens et Saoudiens est improbable

Il semble en effet improbable qu’une guerre directe entre l’Iran et l’Arabie saoudite se déclenche, pour les raisons suivantes :

• Téhéran n’a pas intérêt à provoquer une guerre contre l’Arabie saoudite car le régime chiite souhaite bénéficier de tous les avantages liés à la levée des sanctions occidentales suite à l’accord sur le nucléaire. Dans ces conditions, le Président Hassan Rouhani poursuit depuis son élection en 2013 une politique de détente avec les principales puissances du globe.

• Dans le système politique iranien, les membres des branches exécutive et législative du pouvoir sont élus par un vote populaire sous le contrôle du Conseil des Gardiens de la Révolution ce qui ne permet pas au processus électoral d’être entièrement démocratique. Le système politique et constitutionnel iranien ne facilite pas le déclenchement d’une guerre contre un autre Etat d’autant plus que la position du président Rouhani à ce sujet est catégorique.

• L’attaque contre l’ambassade saoudienne à Téhéran qui a provoqué la rupture des relations diplomatiques avec Riyad après le décès de al-Nimr a été condamnée par le guide suprême Ali Khamenei, par le président Rouhani et par le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif. Afin de normaliser les relations entre les deux pays, les Iraniens ont encouragé leurs pèlerins à se rendre à La Mecque en 2016 (1).

• L’Arabie saoudite n’a pas la capacité militaire d’engager les hostilités avec l’Iran car elle manque d’effectifs sur le terrain. Le seul moyen pour elle de s’opposer directement et militairement à l’Iran serait de faire appel aux armées des Etats sunnites alliés comme l’Egypte. Or, l’Egypte n’est pas disposée à engager des hostilités contre Téhéran uniquement pour satisfaire son allié sunnite saoudien.

• La majorité des dirigeants iraniens actuels ont participé à la guerre contre l’Irak dans les années 1980 et sont conscients des ravages occasionnés par ce conflit. Le président Rouhani, le ministre des Affaires étrangères Zarif, le guide suprême Khamenei, l’ancien président Rafsanjani et le président de l’Assemblée consultative islamique Ali Larijani ont tous participé à ce conflit. Le Conseil des Gardiens de la Révolution qui pourrait être favorable à une guerre contre l’Arabie saoudite n’a pas le pouvoir de déclencher lui-même les hostilités (2).

• Au niveau international, les dirigeants saoudiens estiment qu’en cas de conflit avec l’Iran, les Etats-Unis et les autres pays occidentaux se rangeraient du côté iranien ce qui les dissuade de déclarer la guerre à leur voisin chiite.

• L’engagement de Riyad au Yémen n’a pas été couronné de succès et n’encourage pas les Saoudiens à déclarer la guerre contre l’Iran alors que la population chiite de la province est de l’Arabie saoudite, qui a un très grand potentiel pétrolier, pourrait se ranger du côté de Téhéran en cas de conflit.

• L’Iran contrôle le détroit d’Ormuz à travers lequel l’Arabie saoudite achemine ses hydrocarbures et participe au commerce international. La fermeture de ce détroit qui ferait suite à une déclaration de guerre entre les deux pays, nécessiterait de rediriger les flux de matières premières et le commerce saoudien vers la mer Rouge ce qui à court terme est impossible à réaliser (3).

Stratégie iranienne dans la région

Depuis 1979 et l’avènement de la République islamique, les trois piliers de la politique régionale iranienne sont les suivants : l’opposition à l’influence des Etats-Unis, l’opposition à l’existence d’Israël, la rivalité avec l’Arabie saoudite.

La stratégie régionale de l’Iran doit s’accommoder d’une baisse notable de ses revenus pétroliers et aura pour effet de diminuer son assistance à ses alliés régionaux. Cependant, l’Iran a toujours privilégié ses ambitions régionales par rapport au bien-être de sa propre population. Ainsi, on peut raisonnablement estimer qu’une famine peut se propager à Shiraz sans que cela ne conduise le pouvoir iranien à stopper son soutien financier au Hezbollah libanais.

Le développement du sectarisme et de l’hostilité à l’égard de l’Iran dans le monde arabe sunnite accentue la vulnérabilité iranienne. Dans le passé, l’Iran a pu exercer son « soft power » (puissance douce) au Moyen-Orient musulman, mais actuellement, ce pays doit compter prioritairement sur son « hard power » afin d’imposer son influence alors que sa stabilité dans la région se heurte à la présence des opposants sunnites (4).

Actuellement, l’avantage de l’Iran réside dans le fait que les puissances régionales comme l’Egypte et la Turquie et les superpuissances comme les Etats-Unis et l’Europe qui lui sont opposées se consacrent à résoudre leurs propres problèmes intérieurs ; pour eux les conflits régionaux du Moyen-Orient passent au second plan (5). En attendant, Saoudiens et Iraniens s’accommodent d’un conflit indirect par l’intermédiaire de forces armées régionales.

Conflits régionaux indirects entre Saoudiens et Iraniens

• Le Hezbollah au Liban est devenu un pilier central dans le dispositif iranien contre l’Etat d’Israël et le renforcement du régime Assad en Syrie. Le Hezbollah n’est pas une milice, c’est une armée équipée de missiles Zelzal-1 ayant un rayon d’action capable d’atteindre Tel-Aviv. Le Hezbollah est également équipé de missiles antichars et d’obus EFP (« Explosively-Formed-Penetrator ») capables de détruire les chars israéliens. L’Iran a également équipé le Hezbollah de missiles C-802 et Yakhont qui peuvent détruire des navires de guerre israéliens comme cela s’est produit durant la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël (6).

• En Syrie, les Saoudiens, les Qataris et les Turcs ont renforcé les rebelles qui s’opposent au président Assad au nord-ouest du pays. Les Gardiens de la Révolution Iraniens (GRI) sont impliqués directement dans les combats, alors que l’engagement saoudien auprès de l’opposition syrienne est dirigé par la Jordanie. La situation démographique syrienne ne permet pas aux Gardiens de la Révolution de s’imposer dans ce pays. En effet, les Iraniens, le Hezbollah, les forces pakistanaises et les mercenaires afghans peuvent remporter une victoire militaire sur le terrain mais la bienveillance de la population syrienne locale ne leur sera jamais acquise (7). Téhéran justifie son soutien au Président Assad par son appartenance à l’« axe de résistance » contre Israël, ainsi que la mort de centaines de milliers de Syriens et le déplacement de millions d’autres par la nécessité de combattre…l’injustice israélienne. Or, cinq ans de guerre en Syrie ont provoqué plus de morts et de déplacés que ne l’a fait le conflit israélo-palestinien durant les sept dernières décennies.

• Au Yémen, en 2009, un an après la déclaration du roi d’Arabie saoudite Abdallah demandant aux Américains de détruire l’Iran, Riyad a lancé une campagne militaire contre les rebelles houthis au nord du Yémen qui a entraîné la perte de 137 combattants saoudiens. Des armes provenant de l’Arabie saoudite, de la Jordanie et des Emirats arabes unis ont été livrées aux opposants des Houthis (8). L’Iran pour sa part a équipé ses alliés houthis de missiles C-802 qui ont été utilisés contre les navires de guerre des Emirats arabes unis. Les Houthis infligent également aux Saoudiens de lourdes pertes en détruisant notamment des chars et des véhicules blindés par l’utilisation de missiles antichars fournis par les Iraniens. Le soutien iranien aux Houthis n’a pas un objectif stratégique à long terme, comme c’est le cas au Liban et en Irak, mais il permettrait à court terme de négocier un retrait iranien du Yémen contre un retrait saoudien de Syrie. Le conflit avec les Houthis constitue en effet une menace existentielle pour les Saoudiens : les Iraniens au Yémen ont déstabilisé profondément le royaume saoudien de manière similaire à ce qu’aurait provoqué aux Etats-Unis un coup d’Etat contre le pouvoir mexicain par une milice prosoviétique durant la guerre froide (9).

• En Irak, l’Iran a livré aux milices chiites un appui aérien, une artillerie lourde, des équipements électroniques et une assistance médicale. La principale milice chiite en Irak, Badr, s’était battue dans le camp iranien durant la guerre des huit ans entre l’Irak et l’Iran. Actuellement, la milice Badr représente une force militaire de 500,000 combattants organisée sur le modèle des Gardiens de la Révolution Iraniens (GRI).

Conclusion

Même si, comme nous l’avons déjà indiqué, une guerre directe entre Iraniens et Saoudiens semble improbable, ces deux pays redoutent les accrochages frontaliers le long du littoral qu’ils partagent et dans le golfe Persique. A signaler que l’exploitation de champs gaziers appartenant à l’Arabie saoudite et à l’Iran peut conduire à un conflit qui deviendrait rapidement incontrôlable. D’autre part, le tir de missiles iraniens de plus en plus proches des côtes du Golfe pourrait conduire à un embrasement général de la région. Les patrouilles aériennes le long de la « ligne Fahd » pourraient provoquer une réaction saoudienne (10).

Dans ce contexte, on peut craindre qu’à l’avenir des erreurs de jugement de la part des Iraniens, des Saoudiens ou de leurs alliés régionaux pourraient provoquer un conflit. En outre, les armes utilisées par les deux parties sont largement plus performantes que celles utilisées durant la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 1980. Les Saoudiens ont à présent une puissance de feu qui peut détruire les installations portuaires, les terminaux pétroliers et les équipements industriels iraniens. L’Iran de son côté peut s’attaquer au littoral du golfe Persique grâce à ses missiles de longue portée. En 1988, la marine iranienne a été détruite par les Etats-Unis en un seul jour. Ce qui n’est plus possible à l’heure actuelle (11).

De plus, le conflit entre les deux gouvernements saoudien et iranien se prolonge dans les deux sociétés civiles : le nationalisme iranien et le nationalisme saoudien s’appuient tous les deux sur un même type de chauvinisme.

Enfin, les Occidentaux ont prouvé leur incapacité à imposer une paix entre les deux pays et devraient, dans ces conditions, encourager la Chine, l’Inde et la Russie à trouver une solution à ce conflit dans le cadre des Nations unies (12).

Notes :

(1) Ali Omidi, « Five Reasons Why Iran-Saudi Conflict Won’t Escalate » Al-Monitor http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2016/02/five-reasons-iran-saudi-cold-war-turn-hot.html le 5 février 2016.
(2) Idem.
(3) Idem.
(4) Cf. Michael Young, « Turban versus Crown », Carnegie Middle East Center, http://carnegie-mec.org/diwan/64748 le 7 octobre 2016.
(5) Idem.
(6) Michael Knights, « What Would a Saudi-Iran War Look Like ? Don’t Look Now, But it is Already Here », Washington Institute for Near East Policy http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/what-would-a-saudi-iran-war-look-like-dont-look-now-but-it-is-already-here le 11 janvier 2016.
(7) Cf. Michael Young, « Turban versus Crown », Carnegie Middle East Center.
(8) Cf. « What Would a Saudi-Iran War Look Like ? Don’t Look Now, But it is Already Here », Washington Institute for Near East Policy.
(9) Cf. Michael Young, « Turban versus Crown », Carnegie Middle East Center.
(10) Cf. « What Would a Saudi-Iran War Look Like ? Don’t Look Now, But it is Already Here », Washington Institute for Near East Policy.
(11) Idem.
(12) July Dempsey, « Will Iran and Saudi Arabia go to War ? », Carnegie Europe http://carnegieeurope.eu/strategiceurope/?fa=62410 le 6 janvier 2016.

Publié le 09/05/2017


Après des études de Droit à Paris et un MBA à Boston aux Etats-Unis, Matthieu Saab débute sa carrière dans la Banque. En 2007, il décide de se consacrer à l’évolution de l’Orient arabe. Il est l’auteur de « L’Orient d’Edouard Saab » paru en 2013 et co-auteur de deux ouvrages importants : le « Dictionnaire du Moyen-Orient » (2011) et le « Dictionnaire géopolitique de l’Islamisme » (2009).


 


Politique

Arabie Saoudite

Diplomatie