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Les relations franco-saoudiennes sous le mandat de François Hollande : vers un approfondissement et une diversification des liens bilatéraux (3/3)

Par Aglaé Watrin-Herpin
Publié le 06/12/2017 • modifié le 09/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

AFP Photo RÉFÉRENCE DOCUMENT000_NIC6149480 SLUGSAUDI - FRANCE - DIPLOMACY - HOLLANDE DATE DE CRÉATION04/11/2012 VILLE/PAYSJEDDAH, ARABIE SAOUDITE CRÉDITBERTRAND LANGLOIS / AFP POIDS FICHIER/PIXELS/DPI29,49 Mb / 3894 x 2647 / 300 dpi SAUDI-FRANCE-DIPLOMACY-HOLLANDE Saudi Arabia’s King Abdullah bin Abdulaziz al-Saud ® meets with French President Francois Hollande (L) upon the latter’s arrival at the Saudi Royal palace, in Jeddah, on November 4, 2012.

BERTRAND LANGLOIS / AFP

Le rétablissement de liens personnels de confiance

Au cours de l’année 2015, trois visites officielles ont été rendues à Riyad en moins de neuf mois tandis que, jusqu’alors, les présidents de la Ve République avaient établi une moyenne de deux à quatre visites par mandat au royaume. François Hollande réserva au roi Abdallah, de manière symbolique, sa première visite dans le Golfe le 2 novembre 2012 (3). Une seconde rencontre dans le palais personnel du roi un an plus tard, finît de confirmer la restauration d’une relation de confiance entre les deux chefs d’Etat.

L’intense activité diplomatique entre les deux pays a même alimenté un temps l’idée d’un « point de départ d’un partenariat spécial » (4). Et c’est l’accueil de François Hollande au mois de mai 2015, comme premier chef d’Etat occidental invité d’honneur au sommet du Conseil de Coopération du Golfe (5), qui semblait vouloir incarner cette nouvelle étape de la relation bilatérale.

Un contexte international propice au rapprochement franco-saoudien

Davantage qu’une politique française inédite en Arabie saoudite, c’est un contexte régional et international en profonde mutation qui peut expliquer l’approfondissement de la relation franco-saoudienne sous le mandat de François Hollande. Le renouveau de la relation est à envisager à l’aune des événements ayant marqué la jonction de son mandat avec son prédécesseur en 2011-2012. L’instabilité provoquée par le “printemps arabe” a en effet poussé à une concentration stratégique des intérêts français vers les pays du Golfe, jugés plus stables. Et notamment l’Arabie saoudite, dont le régime monarchique semblait pouvoir résister au changement, et avec lequel la France entretenait déjà des relations anciennes et profitables. Hormis le rééquilibrage réalisé avec le Qatar au profit de l’Arabie saoudite, la diplomatie française de François Hollande s’est donc inscrite dans la continuité de la ligne initiée par Nicolas Sarkozy.

La relation franco-saoudienne profite par ailleurs des tensions nouvelles entre Washington et Riyad. Alors que l’administration Obama entend normaliser ses relations avec l’Iran dans le cadre de l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, l’Arabie saoudite se retrouve en proie au doute quant à l’assurance sécuritaire de son allié historique (6). Sur fond d’instrumentalisation du clivage confessionnel entre chiites et sunnites, le royaume wahhabite s’est ainsi lancé dans une guerre par procuration pour le leadership régional face à l’Iran et a entrepris de diversifier ses relations.
La relation franco-saoudienne, telle qu’envisagée par le président Hollande et son équipe, entend ainsi surfer sur la restauration de la confiance avec les Saoud, et une certaine conjoncture de l’actualité politique internationale. Le nouveau président choisit, pour prendre en charge cette diplomatie, de réaffirmer le rôle du ministre des Affaires étrangères et du ministre de la Défense.

Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian au service de la diplomatie économique avec Riyad

Laurent Fabius a été l’artisan d’une « diplomatie économique » qui fut particulièrement propice à la diversification des liens bilatéraux. Quant à l’action du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, notamment en ce qui concerne les ventes d’armements à Riyad, elle s’est intégrée à cette diplomatie économique. Le secteur de la Défense contribue en effet de manière essentielle au commerce extérieur de la France avec 16 milliards d’euros en 2015 (7). Or, le royaume est l’un des principaux acheteurs mondiaux d’armement, et le premier client de la France dans le secteur (8). Ainsi, la performance record des exportations françaises réalisées au cours de l’année 2014 avec 8,2 milliards d’euros de commandes s’explique par les accords conclus avec l’Arabie saoudite (9).

Les investissements économiques et financiers sont l’autre pierre angulaire du rapprochement franco-saoudien. La délégation française composée de 360 personnes et de hauts officiels qui s’est rendue en octobre 2015 à Riyad pour le second forum économique franco-saoudien, est la plus importante à être allée dans le royaume dans l’histoire de la relation bilatérale, et est à l’image des nouvelles ambitions économiques de la France en Arabie saoudite (10). C’est à l’occasion de ce forum économique que le Premier ministre Manuel Valls, accompagné de 130 chefs d’entreprises, a annoncé la signature de 10 milliards d’euros de contrats dans divers secteurs de l’économie saoudienne (11). Toutefois, 7 milliards d’euros de contrats ont été formulés en simples lettres d’intention, et peu d’entre eux se sont finalement concrétisés.

Sous le mandat de F. Hollande, l’Arabie saoudite est demeurée un acteur incontournable du marché des hydrocarbures mais les échanges économiques se sont donc diversifiés et accrus jusqu’à ériger Riyad en premier partenaire commercial de la France dans le Golfe (12) et comme son deuxième partenaire au Moyen-Orient.

Convergence de vue sur les grandes crises régionales

Dans les négociations pour la paix en Syrie, et alors que les Etats-Unis ont renoncé à intervenir en 2013, la France et l’Arabie saoudite ont formé la ligne la plus dure contre le président Bachar al-Assad dont ils réclamaient le départ. Selon les déclarations de Laurent Fabius, « Bachar al-Assad ne peut être l’avenir de la Syrie (…), [et] la France et l’Arabie saoudite ont un rôle à jouer pour unifier l’opposition modérée » (13). Les diplomaties française et saoudienne se rejoignent aussi dans leur lecture commune d’une « menace iranienne » qui pèserait sur la stabilité régionale. Alors que l’Arabie saoudite est fermement opposée à la conclusion de l’accord de juillet 2015, Laurent Fabius se fait remarquer à Riyad par une même fermeté : « Le Golfe doit être exempt d’armes nucléaires. La levée des sanctions n’interviendra qu’à la condition que l’Iran mette en œuvre ses engagements, et j’ai insisté pour que cette levée soit progressive et réversible en cas de violation par l’Iran de l’accord » (14). La diplomatie française a été largement commentée, et une prise de position pro-saoudienne - voire plus largement pro-sunnite dans la guerre de Riyad contre l’Iran pour le leadership régional qui s’étend du Yémen à l’Irak, en passant par la Syrie et le Liban - a même été parfois mise en cause.

Pour Pierre Conesa, la nouvelle donne géopolitique issue de la normalisation des relations avec l’Iran doit en effet questionner l’importance de la relation d’exclusivité entretenue avec l’Arabie saoudite depuis l’arrivée de François Hollande (15). Une attitude de prudence est également préconisée à l’époque par Hubert Védrine (16) et Denis Bauchard (17) qui soulignent la nécessité d’une politique de neutralité au Moyen-Orient. La convergence diplomatique avec Riyad ne doit en effet pas, selon eux, être interprétée comme une condition sine qua non de la relation franco-saoudienne au risque d’ancrer la France dans une alliance sur la scène régionale et internationale. Or, la politique étrangère pro-sunnite initiée par Nicolas Sarkozy, et confirmée sous Hollande, tendrait à donner l’image d’un parti pris pour un « arc sunnite » coalisé autour de l’Arabie saoudite dans sa lutte contre l’Iran.

Ainsi, dans le cadre de la crise de confiance américano-saoudienne, les convergences de vue de Paris et Riyad sur la plupart des grands dossiers régionaux auront contribué au rapprochement franco-saoudien, ce dernier s’incarnant dans l’invitation exceptionnelle du président François Hollande au Conseil de coopération du Golfe.

Conclusion

Plus qu’un rééquilibrage des relations françaises entre Doha et Riyad c’est un approfondissement et une diversification de la relation franco-saoudienne qui ont été réalisés sous le mandat de François Hollande. L’idée d’un « partenariat spécial » mise en avant semble toutefois exagérée, compte tenu notamment des nombreuses déconvenues de la France dans le royaume en termes d’investissements effectifs. Du point de vue géostratégique également, la France ne saurait se substituer à Washington, allié historique de Riyad, bien que les convergences de vue franco-saoudiennes sur les crises régionales soient appréciées par le royaume.

Côté saoudien, l’arrivée sur la scène politique et médiatique du prince héritier Mohammed Ben Salman, a pu alimenter un temps les interrogations sur les perspectives de la relation franco-saoudienne. Ce dernier mène une politique étrangère interventionniste (Yémen / Syrie) et réformatrice à l’échelle nationale qui rompt alors avec la politique étrangère saoudienne traditionnelle de maintien du statu quo. Toutefois, la continuité des positions françaises à l’égard de l’Iran, et ce malgré le départ de Laurent Fabius en février 2016, correspondait à la focalisation accrue de la politique étrangère du nouveau leadership saoudien sur la « menace iranienne ». La relation franco-saoudienne a donc continué de profiter de cette complémentarité de vue jusqu’à la fin du mandat de François Hollande.

Lire les parties précédentes :
Les relations franco-saoudiennes de 1967 à 2007 (1/3)
Les relations franco-saoudiennes sous le mandat de Nicolas Sarkozy : une amitié intacte mais concurrencée par le Qatar (2/3)

(1) Malgré une méfiance héritée de la persistance d’un réseau qatari acquis à Nicolas Sarkozy, et après l’avoir longuement repoussée, François Hollande a finalement rendu sa première visite officielle à Doha le 20 juin 2013. « François Hollande veut désamorcer les polémiques avec Doha », Le Monde, 22/06/2013.
(2) Selon les propos de l’ambassadeur Jean Christophe Paucelle : « Il s’agit avec l’Arabie saoudite, les Emirats, le Qatar et les autres pays du Golfe de remettre de l’ordre en traitant chacun selon ses mérites propres ». Propos rapportés par Xavier Panon dans Les coulisses de la diplomatie française, 2015, p.425.
(3) « François Hollande en Arabie saoudite pour une première rencontre avec le roi Abdallah », RFI, Publié le 04-11- 2012. URL : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20121104- francois-hollande-visite-le- royaume-saoudien
(4) C’est dans un communiqué conjoint des dirigeants du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et de la France, à l’issue de la rencontre de Riyad, qu’il a été question du « point de départ d’un partenariat spécial ».
(5) URL : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20150505- riyad-hollande- invite-sommet- conseil-cooperation-golfeccg- iran-
(6) Alliance conclue sur le cuirassé américain Quincy, au large de l’Egypte, le 14 février 1945, entre le Président Roosevelt et le roi Abdel Aziz Ibn Saoud. Elle assure le monopole américain sur l’exploitation du pétrole saoudien dans l’est de l’Arabie saoudite contre une prise en charge de la sécurité du royaume face aux menaces extérieures, ainsi que la non-ingérence des Etats-Unis dans les affaires intérieures saoudiennes.
(7) Rapport au Parlement 2015 sur les exportations d’armement de la France, Juin 2015.
(8) L’Arabie saoudite figure au premier rang des clients de la France sur la période 2005-2014 avec plus de 12 millions d’euros de contrats, devant l’Inde, le Brésil, les Emirats arabes unis, les Etats-Unis et le Qatar.
(9) Au cours de l’année 2015, c’est plus de 12 milliards d’euros d’armes qui ont été vendues au royaume, notamment grâce à la commande de 24 Rafale destinés à l’Egypte.
(10) URL : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Ressources/12469_2eme-forum-daffaires-franco-saoudien-12-13102015-riyad
(11) URL : http://www.latribune.fr/economie/france/la-france-conclut-10-milliards-d-euros-d-accords-avec-l-arabie-saoudite-513153.html
(12) 10 Md € d’échanges en 2014. Source : Direction générale du Trésor.
(13) Interview de Laurent Fabius parue dans le quotidien Al Riyad (Arabie saoudite), 12/04/2015.
(14) Ibid.
(15) Pierre Conesa dans « La France doit-elle revoir sa relation avec l’Arabie saoudite ? », Emission « Le débat du jour d’Anne Soetemondt », RFI, 14/01/2016.
(16) Françoise Feugas, « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient ? », OrientXXI.info, 12/10/2015.
(17) « France-Arabie saoudite : entente politique et gros contrats », RFI, 13-10-2015.

Publié le 06/12/2017


Aglaé Watrin-Herpin est diplômée d’une licence d’Histoire de la Sorbonne et d’un master de Sciences politiques – Relations internationales de l’Université Panthéon-Assas. Après une année d’étude aux Emirats arabes unis, elle a mené plusieurs travaux de recherche sur la région du Golfe. Son premier mémoire s’est intéressé aux relations franco-saoudiennes depuis 2011. Le second, soutenu dans le cadre de ses études de journalisme au CELSA, était consacré à la couverture médiatique de la guerre au Yémen.


 


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