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Mahomet ( 571-632) et les débuts de l’Islam

Par Tatiana Pignon
Publié le 07/12/2012 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

Mahomet, marchand mecquois

Avant la révélation coranique, Muhammad (de son nom arabe [1]) est un représentant presque parfaitement typique de l’aristocratie marchande de La Mecque. Membre de la tribu des Quraysh qui domine alors la ville, il fait partie des Hashîmites, l’un des deux clans principaux de la tribu. Il est recueilli par son oncle maternel Abû Tâlib après la mort de ses parents : cet homme influent est en mesure de lui garantir une protection assez importante dans la ville, et sera l’un de ses premiers partisans. La Mecque est alors une ville prospère, qui tire sa richesse de deux éléments : le commerce et les pèlerinages – s’y trouve en effet un sanctuaire païen, qui attire un grand nombre de personnes. Elle a également sur sa région une supériorité militaire certaine. C’est là que Muhammad mène, jusqu’à ses quarante ans environ, une vie de marchand ordinaire – profession caractéristique de la tribu des Quraysh, à qui elle a permis de s’enrichir. Il fait un beau mariage en épousant une riche veuve, Khadîja, de vingt ans plus âgée que lui et dont il était l’homme de confiance depuis la fin de son adolescence ; il en aura quatre filles, dont Fâtima [2] qu’il mariera au fils de son protecteur, ‘Alî ibn Abû Tâlib. Citadin, sédentaire, habitué au maniement des armes en raison des conflits qui opposent parfois les tribus mecquoises à d’autres tribus, Muhammad sait lire, écrire et calculer, et a, en tant que marchand, une bonne connaissance des produits d’échange. Son métier a également pu lui permettre de voyager, notamment en accompagnant des caravanes commerciales vers la Syrie. Le récit traditionnel de sa vie insiste enfin sur l’importance des liens familiaux, fondamentaux dans une Arabie du VIIe siècle qui s’organise sur une base tribale, voire clanique ; l’opposition entre les deux clans principaux de la tribu des Quraysh, les Hashîmites et les Umayyades, sera effectivement un enjeu essentiel dans les premiers temps de l’islam.

La prédication coranique

La première révélation, effectuée par le truchement de l’ange Gabriel et contenant la sourate 96 du Coran, a lieu vers 610-611 sur une montagne non loin de La Mecque. C’est à partir de 615 que Muhammad commence à prêcher la « nouvelle religion » dans la société mecquoise, et notamment au sein du clan hashîmite : les premiers initiés, selon la tradition, sont Khadîja, Abû Tâlib et son fils ‘Alî ; ‘Umar – qui deviendra plus tard calife – ferait également partie des tout premiers convertis. La prédication coranique se heurte toutefois très vite à l’opposition des Umayyades, qui redoutent de voir détruire le sanctuaire mecquois et, avec lui, les bénéfices que rapportent les pèlerinages. Les attaques contenues dans la prédication elle-même contre les Mecquois, dont le paganisme et l’amour de la richesse sont dénoncés, poussent même certains Hashîmites à s’élever contre Muhammad, surtout lorsque Abû Lahab, l’un de ses détracteurs, devient le chef du clan après la mort d’Abû Tâlib en 619 [3]. C’est que l’organisation sociale de La Mecque, fondée sur les liens tribaux, est également remise en cause par la prédication mahométane, qui promeut le modèle d’une communauté de croyants égaux. En conséquence de cette situation, Muhammad, de plus en plus isolé, quitte La Mecque en 622 avec ses partisans : c’est l’Hégire [4], « la séparation » ou « l’exil » (« hijra » en arabe). L’importance primordiale de cette rupture est manifestée par le choix – sous le calife ‘Umar – de cette date comme début du calendrier musulman : c’est à ce moment en effet que l’islam, déjà affirmé depuis quelques années comme religion, atteste de sa vocation à former une communauté politique. Un premier serment est prêté par soixante-dix notables représentant les tribus arabes de l’oasis de Yâthrib – la future Médine, située à 350 km environ au nord-ouest de La Mecque – à ‘Aqaba où ils rencontrent Muhammad : le reconnaissant comme prophète, ils jurent de le défendre et de le protéger, tandis que Muhammad se voit investi du rôle d’arbitre dans les conflits inter-tribaux. Pacte défensif, le serment d’‘Aqaba tel qu’il est rapporté par Ibn Ishaq définit aussi les orientations de l’État islamique à venir : il appelle tout à la fois à la paix – entre les croyants, ici entre les tribus arabes de Yâthrib qui étaient en guerre à l’arrivée de Muhammad – et à la guerre, contre les « infidèles » et au nom de Dieu. Ce premier embryon d’organisation communautaire est complété par ce qu’Ibn Ishaq nomme « le pacte entre les Émigrés [« muhâjirûn »] et les Ansâr-s », les ansâr-s étant les nouveaux convertis originaires de Yâthrib : Muhammad y invite notamment à la fraternisation entre les deux groupes, dans le but de créer une communauté solide et indivisible. C’est la véritable naissance de la « Communauté des Croyants [5] », nouvelle forme politique dont le fondement social n’est plus les liens familiaux ou tribaux, mais bien la foi. Muhammad et ses compagnons réalisent ainsi le verset coranique : « Que soit formée de vous une communauté qui appelle au bien, recommande la bonne action et réprouve ce qui est blâmable » (Coran, III, 104). Une fois la victoire contre La Mecque acquise, et la communauté agrandie par la conversion des tribus mecquoises et par les premières conquêtes, il est donc cohérent que cette nouvelle entité politique se structure à partir des lois contenues dans le texte coranique, qu’elle a également pour but de mettre en œuvre de la manière la plus juste possible, conformément à la volonté divine. La révélation mahométane contient en effet nombre de commandements organisant la vie sociale : appelées « hudûd [6] », ces règles portent notamment sur les crimes et les punitions qui doivent les sanctionner, l’héritage, le mariage, ainsi que les obligations religieuses.

Le chef d’une communauté nouvelle

Au sein de cette communauté nouvelle qui se forme donc avec une rapidité extrême, Muhammad est d’emblée reconnu comme le chef évident et légitime. Considéré comme l’Envoyé de Dieu, le vecteur de la dernière révélation – il est en effet appelé « Sceau des Prophètes », c’est-à-dire celui qui clôt définitivement la révélation abrahamique – il est également un prédicateur et le guide (« imam ») de la communauté religieuse ; la nouvelle organisation médinoise se construisant sur la foi, communauté religieuse et communauté politique se confondent et toutes les prérogatives sont ainsi dévolues à Muhammad. La ville même d’origine de cette communauté nouvelle, son lieu de naissance, tire son nom – et son existence – directement de Muhammad : c’est pourquoi elle s’appelle « madînat al-Nabî », « la ville du Prophète », ce qui a donné le nom « Médine ». Bâtie dès l’origine contre un ennemi, contre une menace, cette communauté est également militaire, d’autant plus que sa pauvreté originelle la pousse à attaquer des caravanes commerciales afin d’assurer sa subsistance. Se met dès lors en place une idéologie de la conquête, du butin, qui marquera durablement l’État islamique. En 624, l’attaque par les musulmans d’une caravane appartenant au chef du clan des Ummayades déclenche la bataille de Badr, où les musulmans l’emportent malgré leur infériorité numérique : ce triomphe – seul affrontement militaire mentionné dans le Coran – soutient une conception sacrée de la victoire, considérée comme un don de Dieu et la preuve de son soutien, et donc de la justesse du combat mené par les musulmans. En décembre 629, des négociations entre Muhammad et le chef du clan umayyade Abû Sufyân aboutissent à l’amnistie pour l’ensemble des habitants de La Mecque, dont une majorité se convertit alors à l’islam. Détruisant les idoles, le Prophète transforme le sanctuaire païen de La Mecque en sanctuaire musulman, où il effectue un pèlerinage peu de temps avant sa mort. Lorsque celle-ci survient, en 632, Muhammad a fait bien plus que de remplir sa mission prophétique : il a non seulement transmis la révélation coranique aux populations environnantes, mais aussi lancé un mouvement de conquête territoriale qui se poursuivra pendant plus d’un demi-siècle et assurera aux musulmans le contrôle d’un immense empire ; il a précisé, dans l’allocution connue sous le nom de « Discours de l’Adieu », les principaux points de la loi islamique ; il a instauré, en l’islamisant, le rituel à l’origine païen du pèlerinage à La Mecque ; il a assuré la cohésion d’une communauté fondée sur la foi et le respect des règles coraniques ; il a enfin fondé, lors de l’Hégire, les premières mosquées, celle de Qubâ – aux abords de Médine – et celle qui est appelée « masjid al-Nabawî », « mosquée du Prophète », où aurait eu lieu la première prière du vendredi effectuée à Médine.

Toutes les bases de l’islam, comme religion mais aussi en tant que modèle d’organisation sociale et politique, sont donc jetées au moment de la mort de Mahomet. Prophète, prédicateur, chef militaire, politique et religieux, Mahomet parvient en moins de vingt ans à rassembler autour de lui un très grand nombre d’hommes prêts à former une communauté nouvelle, même si des divisions importantes demeurent – notamment entre anciens et nouveaux convertis, et entre Mecquois qurayshites et ansâr. Il est véritablement non seulement le fondateur, mais le pivot autour duquel tout s’organise ; après sa mort, et dans l’absence d’indications précises concernant sa succession, il faudra créer une institution spécifique pour prendre sa suite : ce sera le rôle du califat.

Bibliographie :
 Régis Blachère, Le Problème de Mahomet : Essai de biographie critique du fondateur de l’islam, Paris, Presses Universitaires de France, 1952, 136 pages.
 Anne-Marie Delcambre, Mahomet, Paris, Éditions Desclée de Brouwer, 2003, 149 pages.
 Émile Dermenghem, Mahomet et la tradition islamique, Paris, collection Points Seuil, 2003, 187 pages.
 Maxime Rodinson, « Mahomet ou Muhammad (571 ?-632) », Encyclopédie Universalis.
 Éric Vallet, « Cours d’initiation à l’histoire de l’Islam médiéval », ENS Ulm, 2011-2012.
 Centre de recherches d’histoire des religions (Strasbourg), La vie du prophète Mahomet, Colloque de Strasbourg, octobre 1980 ; publié à Paris, Presses Universitaires de France, 1983, 182 pages.

Publié le 07/12/2012


Tatiana Pignon est élève en double cursus, à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, ainsi qu’à l’Université de la Sorbonne en Histoire et en langue. Elle s’est spécialisée en l’histoire de l’islam médiéval.


 


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