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Compte rendu du Colloque « Hydrodiplomatie et changement climatique pour la paix au Moyen-Orient », tenu le 1er décembre 2015 au Sénat à Paris, en marge de la COP21

Par Jean-Baptiste d’Isidoro
Publié le 17/12/2015 • modifié le 03/03/2016 • Durée de lecture : 17 minutes

Fadi Comair

Le colloque s’est organisé en trois sessions : « Les bassins : territoires pour l’adaptation, présentation de l’ouvrage Science Diplomacy and Transboundary water management : the Orontes river Case » ; « Les outils technologiques : innovation pour l’adaptation » ; « sécurité d’approvisionnement en eau et production énergétique ». Par ailleurs, plusieurs grandes thématiques ont été transversales aux discussions du colloque : le concept de l’hydrodiplomatie, c’est-à-dire comment l’eau peut-elle être un vecteur de paix par une répartition équitable des ressources en eau, et dont le cas de la gestion du fleuve de l’Oronte est une illustration ; la coopération internationale en matière de formation aux métiers de l’eau ; le renforcement du lien entre science et politique, et comment les ingénieurs et les chercheurs apportent des moyens de résolution de conflits liés à l’eau, qui doivent être relayés auprès des décideurs.

Introduction

Intervenants :
 Olivier Cadic, Sénateur représentant les Français établis hors de France
 Sophie Auconie, Gouverneur au Conseil Mondial de l’Eau
 Arthur Nazarian, Ministre de l’Energie et de l’Eau au Liban

Monsieur Olivier Cadic, sénateur des Français résidant hors de France, a introduit le colloque. L’objectif est la sensibilisation au concept d’hydrodiplomatie, c’est-à-dire un partage des ressources en eau équitable pour favoriser la paix au Proche-Orient. En effet, l’enjeu de l’eau est une préoccupation majeure pour tous les gouvernements du Proche et Moyen-Orient. D’autant que l’eau, et en particulier dans la région, a une dimension transfrontalière et interétatique, dont le partage peut provoquer ou alimenter des conflits, et se superpose aux tensions géopolitiques de la région. Ainsi, pour Monsieur le Sénateur, il s’agit de réfléchir à la façon d’assurer l’approvisionnement en eau et éloigner le spectre de la guerre de l’eau en adoptant une politique participative de gestion de l’eau.

Madame Sophie Auconie, Gouverneur au Conseil Mondial de l’Eau, poursuit l’introduction : la situation reliée à l’eau reste d’autant plus difficile du fait de la démographie croissante, de l’urbanisation, des évolutions du climat. Les acteurs, de manière individuelle, s’emploient à fournir davantage d’eau pour l’usage domestique, agricole et industriel. La raréfaction des ressources oblige à penser des nouveaux outils de maîtrise de l’eau, d’autant plus dans les pays en situation de stress hydrique. Le droit à l’eau devient une réalité, personne ne peut prétendre priver son voisin de l’eau. La prise en compte par les organisations onusiennes et par les Etats a facilité cette prise de conscience nouvelle et le succès des forums mondiaux de l’eau a permis la mise en œuvre d’engagements durables. Il faut convaincre les décideurs de la planète qu’assainir l’eau c’est garantir l’avenir par la sécurité alimentaire et sanitaire. Il faut rapprocher la gestion de l’eau des territoires et des citoyens. L’eau n’est pas qu’un droit mais aussi un devoir, en incluant les citoyens dans la gestion de l’eau.
Par ailleurs, une véritable hydro-diplomatie internationale doit être mise en place pour contribuer à une action collective sur l’utilisation des masses d’eau continentales et des sources d’énergie, autant que sur les financements innovant pour les plus pauvres. La pérennité de la ressource eau passe par une coopération locale, régionale et internationale.
Les textes de 1997 sont un point de départ pour de grandes ambitions. L’eau peut devenir un facteur de dialogue et de stabilité. Les décideurs doivent être actifs dans la mise en œuvre d’une réelle hydro-diplomatie. Le Conseil mondial de l’eau s’est saisi de cette question. L’eau va prendre de plus en plus de place dans les agendas régionaux et internationaux. Là où il y a des règlements climatiques, il y a des règlements aquatiques.

L’introduction du colloque s’achève par les propos de Arthur Nazarian, Ministre libanais de l’Energie et de l’Eau. Après un rappel des enjeux de la COP21, et de la nécessité de garantir la qualité de l’eau pour préserver les écosystèmes, le Ministre a insisté sur la nécessité d’assurer l’approvisionnement en eau des générations futures. Comme l’a fait remarquer Sophie Auconie, le Moyen-Orient, berceau de la civilisation, fait face à la raréfaction des ressources du fait de la croissance démographique, une augmentation de la demande en eau, aggravée par la détérioration de la qualité en raison de la pollution.
Du fait de cette situation, couplée de tensions géopolitiques dans la région, il y a une urgence au Liban sur la question de l’eau. La coopération diplomatique est nécessaire pour éliminer cette menace, d’autant que le Liban approvisionne en eau les réfugiés des conflits régionaux. L’application de la convention des Nations unies sur le droit relatif à l’utilisation des cours d’eaux de 1997, en combinaison à la participation d’autres Etats, doit renverser la situation en faveur de la coopération régionale et la promotion de la paix. Il rappelle enfin, et c’est d’ailleurs ce qui va structurer le colloque, le financement de deux projets par la France et l’Italie au Proche-Orient, respectivement pour établir un centre régional pour la gestion de l’eau, et pour répartir équitablement les ressources du fleuve Oronte, entre la Syrie, le Liban et la Turquie, avec la création d’organisations régionales.

M. Olivier Cadic, sénateur représentant des Français établis or de France, M. Arthur Nazarian, Ministre de l’Energie et de l’Eau du Liban, le Dr. Fadi Comair, président d’honneur du REMOB, Directeur Général des Ressources Hydrauliques et Electriques au Ministère de l’Energie et de l’Eau du Liban.

Les bassins : territoires pour l’adaptation – présentation de l’ouvrage Science Diplomacy and Transboundary water management : the Orontes river Case

 Président : Pierre Roussel, Président de l’Office International de l’Eau
 Fadi Comair, Président d’honneur du REMOB, Directeur Général des Ressources Hydrauliques et Electriques au ministère de l’Energie et de l’Eau au Liban
 Michael Scoullos, Président du GWP-Med, professeur à l’université d’Athènes
 Maurizio Martellini, Professeur à l’Université Insubria

Cette session a eu pour objectif de discuter le concept de l’hydrodiplomatie, et son application réussie pour le cas du fleuve de l’Oronte, qui traverse le Liban, la Syrie et la Turquie et qui a longtemps été géré de manière unilatérale. La table ronde réunit ainsi des acteurs ayant participé directement au processus de négociation, comme le docteur Fadi Comair, instigateur du concept d’hydrodiplomatie, ainsi que des chercheurs de l’Université d’Athènes, et de l’Université d’Insubria.

La session a été présidée par Monsieur Pierre Roussel, président de l’Office International de l’Eau. Ce dernier a introduit la session en rappelant deux notions majeures. L’adaptation d’abord, notamment face aux effets du changement climatique. Le bassin ensuite, qui est le territoire le plus pertinent pour discuter des questions de l’eau, puisqu’il couvre l’aval et l’amont du fleuve. Aujourd’hui, les voies techniques sont largement connues : on sait comment gérer l’eau, les eaux usés, les techniques de désalinisation. Mais il est nécessaire de passer de la voie technique à sa mise en œuvre, là où la politique et la diplomatie sont compétentes. Les exemples, et notamment l’Oronte, montrent que les discussions peuvent fonctionner.

Le docteur Fadi Comair, président d’honneur du REMOB (Réseau Méditerranéen des Organismes de Bassin), et directeur général des ressources hydrauliques et électriques au Ministère libanais de l’Energie et de l’Eau, a participé aux négociations autour de la gestion de l’Oronte. C’est d’ailleurs de son expérience professionnelle, en exerçant les fonctions de négociateur et de fonctionnaire, que naît le concept d’hydrodiplomatie. Pour le Docteur Fadi Comair, ce concept est une manière de favoriser la coopération riveraine et de consolider la paix au Proche-Orient.
Il faut concevoir le projet de l’Oronte, financé par l’Italie, comme un effort de prospective et de vision commune entre les Etats qui partagent le bassin transfrontalier. Dès lors, il s’agit de mener cette action avec les décideurs politiques, et cela dans un contexte géopolitique complexe : un statu quo couplé d’animosités identitaires et religieuses. L’ingérence politique des grands pays régionaux, et la présence renforcée de la Russie et de la coalition catalysent ces tensions. Deux autres phénomènes démographiques participent de cette situation sous tension : le concept de generational shift (une grande présence de jeunes sur la rive sud dépassant 60% de la population) et le human mass transfert (présence de nombreux réfugiés au Liban).
Au delà du contexte géopolitique, le contexte hydrodipolitique joue un rôle majeur, couplé d’une raréfaction croissante des ressources. Comme expliqué précédemment, les gouvernements ont parmi leurs priorités la diplomatie de l’eau. Les sources de conflits transfrontaliers sont nombreuses, et le partage de l’eau, la vulnérabilité des pays génère une gestion militaire des bassins transfrontaliers. Dans la région du Proche-Orient, les enjeux géopolitiques se résument en 4 points :
 le Nil, et le partage avec le Soudan, l’Ethiopie.
 Le bassin du Tigre et de l’Euphrate, leur gestion unilatérale de la Turquie.
 Le bassin du Jourdain où le conflit sur l’eau est superposé par le conflit israélo-palestinien qui renvoie aux Territoires occupés et au Golan.
 Le bassin de l’Oronte, où l’on a pu renverser la situation pour aboutir à une situation gagnant-gagnant de 1998 à 2002 grâce à l’hydrodiplomatie active.

Le concept d’hydrodiplomatie porte ainsi l’ambition de construire la paix. L’objectif est de créer une culture de paix en alliant deux grands aspects : gouvernance et diplomatie. L’hydrodiplomatie consiste en l’application d’une gestion coopérative régionale créant une dynamique dans les bassins pouvant générer des bienfaits économiques et environnementaux. Au lieu d’investir dans la militarisation, il faut investir dans les projets durables afin de garantir un approvisionnement indifférencié en eau. L’objectif est de créer une organisation transfrontalière. Les organisations internationales, de leur côté (UE, ONU, UPM), favorisent des projets de coopération afin de conjurer la menace des conflits potentiels.
Fadi Comair conclut son propos en évoquant l’étude Science Diplomacy and Transboundary water management : the Orontes river Case, publiée par l’UNESCO. L’objectif serait de transposer le projet de l’Oronte à d’autres bassins transfrontaliers de la région. Ce livre est divisé en trois parties :
 L’historique, les accords bilatéraux entre les pays riverains ; les points de vue du Liban, de la Turquie, de la Syrie ; contributions d’experts.
 Les outils technologiques : afin d’entamer les négociations, il faut se baser sur des outils technologiques. Ce sont des logiciels qui donnent des idées sur le bassin.
 Leçons retenues pour des scénarios prévisionnels pour les autres bassins.

Michael Scoullos, président du GWP-Med (Global Water Partnership), et professeur à l’Université d’Athènes, a poursuivi la réflexion sur le concept d’hydrodiplomatie. Pour ce professeur, les moments décisifs suivent les grandes crises, car elles refondent notre manière d’agir et de penser. La France, qui a fait face au terrorisme, en fait actuellement l’expérience. Pour autant, cela ne doit pas nous détourner des problèmes de moyen et de long terme, et en particulier l’action du changement climatique sur la sécurité alimentaire.
La principale difficulté est de coordonner les politiques agricoles et de l’eau au niveau international, alors que le monde est traversé par des fractures. Il faut revoir nos priorités, et réévaluer nos besoins immédiats. Cette nécessité est évidente au Moyen-Orient. Les eaux transfrontalières sont au centre de l’énergie hydraulique et de la production agricole de la région. Ces bassins transfrontaliers proposent des moyens de coopération, mais restent gérés de manière non coordonnée et unilatérale. De plus, leur gestion fait aujourd’hui face au dérèglement climatique (sécheresse et inondation). Si une décision commune n’est pas prise pour maintenir la hausse des températures en dessous de 2 degrés, plus de 10 millions de personnes seront déplacées en raison de la perte de leur revenu agricole du fait de l’augmentation des eaux, ravivant les vagues de migrations vers l’Europe.
Les pays de la région doivent être soutenus dans leur application de l’article 4 de la convention des Nations unies de 1997. Pour cela, il faut explorer les financements de la lutte contre le réchauffement du climat (par exemple avec les green climate funds), développer les connaissances en matière de gestion de l’eau, et promouvoir les développements durables par l’éducation.

La dernière intervenant de cette session est celle de Monsieur Maurizio Martellini, directeur de l’Insubria Center on International Security. Avec son centre de recherche universitaire, il a participé aux travaux de coopération pour la gestion des ressources d’eau de l’Oronte. Pour ce chercheur, le changement climatique, qui constitue un consensus parmi les scientifiques, n’est pas seulement physique mais aussi une transformation des racines de la communauté. Elle bouleverse nos habitudes et requiert une forte capacité d’adaptation. Le changement climatique crée par exemple des vagues de migrations internes conséquentes, en particulier au Moyen-Orient.
Les régions en guerre qui connaissent des difficultés environnementales renforcent les situations conflictuelles. Les pays méditerranéens, reliés de part les migrations, les problèmes sanitaires, la sécurité alimentaire, ont le devoir de faire face à ces enjeux. L’utilisation d’outils transfrontaliers (hydrodiplomatie, projets de « climate informed ») convient face à ces difficultés inter-dimensionnelles.
L’une des propositions de Maurizio Martellini, reprise ensuite au cours du colloque, est notamment la création d’un think tank international, pour étudier l’impact du changement climatique dans la zone de voisinage méditerranéenne. L’un des moyens de promouvoir ces idées est l’éducation. L’utilisation du Coran notamment, qui comporte de nombreuses sourates sur l’eau, serait un moyen d’éduquer les populations à une utilisation durable de l’environnement et des ressources d’eau. Cette construction doit être le moyen de coopération dans la région méditerranéenne. Ce think tank se diviserait en trois groupes d’études :
 Le Women for Euro-Med Water Security Partnership, qui promeut le rôle des femmes dans la gestion de l’eau et l’égalité des genres.
 Hydrodiplomacy Water Conflicts and Security, dont l’objectif est de créer une nouvelle classe de diplomates, spécialisés dans les questions environnementales avec des compétences scientifiques.
 Water Scarcity Management Tools, qui doit réfléchir à l’utilisation d’outils pour l’adaptation et la prévention des crises environnementales.

Pour conclure, Monsieur Pierre Roussel a rappelé l’importance du partage de l’information pour porter des projets de coopération, et du rôle de l’éducation dans la gestion des bassins transfrontaliers.

Les outils technologiques : innovation pour l’adaptation

 Président : Serge Lepeltier, ancien ministre, Président de l’Académie de l’eau
 Daene McKinney, Professeur à University of Texas at Austin
 Georges Comair, Ingénieur Suez Consulting, PhD University of Texas at Austin
 Roberta Ballabio, Chef de projets à l’Université Insubria
 Stephano Bocchi, Professeur à l’Université de Milan

L’objectif de cette session est de discuter des moyens techniques et scientifiques pouvant favoriser la coopération régionale en matière de gestion de l’eau. Un problème transversal est la collecte des données, qui relève avant tout des gouvernements nationaux, peu enclins au partage. L’information géographique et satellite pourrait être une réponse à la collecte de données objectives pouvant participer à la coopération.

Serge Lepeltier, Ministre de l’Ecologie et du Développement Durable entre 2004 et 2005 et Président de l’Académie de l’Eau, a ouvert cette session. Le Moyen-Orient est une région connue pour son climat aride et semi-aride, où une bonne gestion de l’eau joue un rôle essentiel pour la survie des populations. Cette gestion collective a d’ailleurs été à l’origine de l’organisation des sociétés locales et de leurs premières règles communes.
L’eau, lorsqu’elle est insuffisante, est un objet de conflits entre usagers ou entre territoires. La pénurie va exacerber la compétition, d’autant que l’eau se joue des frontières administratives et politiques créées par les hommes. Les bassins hydrographiques sont en effet souvent partagés entre plusieurs pays. Cette situation délicate s’observe au Moyen-Orient. Elle s’aggrave du fait de la croissance démographique, de l’élévation du niveau de vie et du changement climatique. L’été en particulier, le débit des rivières baisse considérablement alors que les besoins en eau sont importants.
Dans ce contexte complexe et sensible, il est impératif de s’adapter et de mettre en œuvre des mesures d’adaptation adéquates. La technologie peut apporter, mais elle doit être accompagnée par la politique et par l’éducation.

Le premier intervenant est Daene McKinney, professeur à l’Université du Texas à Austin. Il rappelle la dimension transnationale des problèmes liés à l’eau : au delà du caractère transfrontalier des bassin, les inondations, la raréfaction des ressources, la pollution et la mal distribution dépassent les frontières. Il y a bien des inégalités de capacité en eau entre les pays.
Aujourd’hui par exemple, il n’existe pas d’études ou de gestion communes à l’échelle du bassin du Jourdain. Il n’y a en réalité que des accords bilatéraux, qui n’ont pas réussi à régler les conflits territoriaux de la région (en particulier du Golan et des fermes de Shebaa dans le sud Liban, toujours sous contrôle israélien). Il existe par ailleurs des difficultés à récolter les données hydrologiques et météorologiques, car tous les pays ne les partagent pas. Les satellites ont un rôle important, car ils permettent de récolter des données de l’aval à l’amont des fleuves. Ainsi, un travail important a été effectué pour le fleuve Oronte.

Georges Comair, également chercheur à l’Université du Texas à Austin, a poursuivi la démonstration de Daene McKinney. Il a ainsi rappelé les désaccords qui existent sur les données de chaque Etat. Les données satellites peuvent permettre de dépasser ces tensions car elles sont exhaustives. Cependant, elles sont moins précises car prises à l’échelle d’un kilomètre. Georges Comair a ensuite comparé les données satellites sur les précipitations et celles des stations au sol : si certains pics sont moins visibles, elles correspondent bien à la réalité. Ces données permettent ainsi d’éviter de se baser sur des informations biaisées par les gouvernements nationaux.
En la matière, l’exemple de l’Oronte est intéressant. Les accords ont permis de rééquilibrer les partages et d’aboutir à une situation « gagnant-gagnant » entre la Syrie et le Liban, en l’autorisant à construire de nouvelles infrastructures. Cependant, les conflits régionaux, même si non directement liés à la question de l’eau, ont pu perturber ces accords. Les populations réfugiées se sont en effet installées près de l’Oronte du fait des conflits, faisant peser une charge supérieure dans les pays d’accueil. L’accès à l’eau potable y est devenu critique, et l’accès à l’électricité commence également à poser problème.
Pour conclure, l’information satellite est un moyen de produire des informations non biaisées, qui doivent rentrer dans les cadres de négociations de l’ONU, et participer à la promotion de l’hydrodiplomatie au Proche-Orient, comme pour le cas de l’Oronte. Malgré tout, le professeur Georges Comair affirme que ces accords devront être renégociés une fois que la situation en Syrie sera stabilisée.

Roberta Balladio, également chercheuse à l’Insubria Center on International Security, rappelle le rôle de son centre de recherche sur le projet mené sur le fleuve Oronte. L’objectif était de renforcer les capacités d’adaptation des différents acteurs sur place pour mieux gérer les défis climatiques au Liban. Le projet a été conçu comme une action pilote pour le Liban, mais aussi pour d’autres Etats. Le choix de l’Oronte s’explique par le fait que ses ressources sont partagées entre trois Etats. L’hydrodiplomatie s’est d’ailleurs profondément intégrée dans le projet pour une gestion équitable. Ainsi, plusieurs volets d’activités ont été mis en place :
 les technologies de l’information et de la communication. Le but était de collecter des données météorologiques, utilisées par des logiciels pour élaborer et rédiger des scénarios possibles afin de corréler les politiques.
 Une recherche de terrain.
 La formation concernant la qualité de l’eau : des experts locaux et les ministères ont été impliqués, notamment pour les problèmes liés à la pollution de l’eau et à la gestion des déchets.

De ces données, a été créée une collaboration avec l’UNESCO. Le livre Science Diplomacy and Transboundary water management : the Orontes river Case, a été enrichi par des contributions extérieures d’experts turques et syriens et d’autres institutions comme l’Université du Texas à Austin.
Pour conclure, le cas de l’Oronte illustre donc comment la technologie et la science doivent favoriser la diplomatie. La science, de son côté, doit prendre en compte les éléments géopolitiques et diplomatiques pour ne pas se limiter à un exercice théorique.

Sécurité d’approvisionnement en eau et production énergétique

 Président : Shahdad Attili, ministre palestinien chargé des Négociations sur l’eau
 Frank Galland, Environmental Emergency & Security Services
 Jacques Devèze, Vice-président W-SMART
 Xavier Guilhou, CEO XAG Conseil, Prévention des risques, Gestion des crises, Intelligence stratégique.

La dernière session du colloque avait pour objectif de traiter les aspects sécuritaires de la gestion de l’eau au Proche et Moyen-Orient. Il s’agissait ainsi de discuter de ces enjeux à différente échelles : locale (infrastructures, barrages, usines de dessalement), nationale (garantir la sécurité alimentaire des populations), et internationale (l’impact des conflits sur la gestion de l’eau).
La session a été introduite par Shahdad Attili, Ministre palestinien chargé des Négociations sur l’eau. Ce dernier a rappelé le lien étroit entre eau et sécurité, car la sécurité de l’eau garantit la sécurité alimentaire et la stabilité. Aujourd’hui, les Territoires palestiniens vivent les conséquences d’un non accord sur l’eau. Il félicite par ailleurs les travaux effectués sur l’Oronte, qui pourraient servir pour le bassin du Jourdain. Si Israël n’est aujourd’hui pas parti à la convention des Nations unies de 1997 sur l’eau, il faut continuer à mener un travail politique pour la coopération. Le projet du Canal de la Paix (projet de canal devant lier la mer Rouge à la Mer Morte) en est une illustration, car il montre que l’accord peut être atteint. Ce processus de paix par l’eau doit par ailleurs impliquer les pays arabes comme les pays européens.

Franck Galland a été le premier intervenant de cette session. Ancien directeur de la sûreté chez Suez Environnement, il a donc le point de vue d’un praticien. La zone du Moyen-Orient est la zone la plus soumise au stress hydrique : on y fait aujourd’hui « la guerre contre l’eau ». La situation en Irak en est l’exemple. Dès février 2014, le barrage de Falloujah est saisi par Daech : or « qui tient l’eau, tient le bas », en ce que le sud de l’Irak dépend de ces barrages hydrauliques en ce qui concerne l’approvisionnement en eau et en électricité. Cela a ainsi encouragé les forces des Etats-Unis à intervenir à Mossoul pour reprendre le contrôle du barrage de Mossoul, ville qui était sous le danger d’un tsunami urbain. Les guerres asymétriques menées aujourd’hui prennent de fait l’eau en otage.
Face à ces menaces hydriques, il faut d’abord apporter une réponse légale, en protégeant davantage les infrastructures en cas de conflit. Il faut également durcir ces infrastructures par davantage de sécurité, en anticipant les différents scénarios. Dans leur grande majorité, les Etats du Golfe ont peu de réserve en eau. La technologie, la volonté politique et l’investissement doivent permettre de sortir de cette situation. Il faut prévenir les crises et les attaques non conventionnelles : en souvenir de la marée noire provoquée par Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe, les Etats de la région doivent s’en prémunir, étant donné le degré d’interdépendance électrique et des télécommunications. Il y a également un problème lié à la cybersécurité : ces infrastructures sont aujourd’hui vulnérables.
Il s’agit ainsi de créer une ossature sur les réseaux transnationaux d’eau. La coopération régionale doit être poussée, à l’image du projet mené par l’Oman et l’Arabie saoudite, le Grand Water Transmission Lines. Ce projet a pour but de relier les usines de dessalement situées en Oman pour alimenter Ryiad, qui en est largement dépendante. Par ailleurs, Amman accueille le plus de réfugiés au monde, posant d’importants problèmes de pénuries. Le projet de canal Disi Amman doit permettre de transporter les eaux de la frontière entre la Jordanie et l’Arabie saoudite. Enfin, dans ces zones sensibles, le stockage des eaux est un autre enjeu important. Le Qatar, ainsi que les Emirats arabes unis, investissent dans des méga-réservoirs, qui doivent permettre de garantir des stocks tampons lorsqu’il y a des problèmes de dessalement.

Jacques Devèze a ensuite pris la parole. Il est un ancien haut-fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l’Environnement et du Développement Durable, aujourd’hui vice-président de W-SMART, groupe de gestionnaire de l’eau potable. Du fait de la présence du Ministre Shahdad Attili, Jacques Devèze a voulu évoquer le projet de réhabilitation de l’ecosystème côtier entre Israël et la bande de Gaza. Dans la région, la ressource en eau existe mais y est polluée. Il y a aujourd’hui un projet d’hydrodiplomatie local, entre les maires israéliens et palestiniens. Cependant, ce mouvement de coopération a été remis en cause par l’élection du Fatah dans la bande Gaza en 2007.

Le dernier intervenant de cette session est Xavier Guilhou, PDG de XAG Conseil, expert en prévention des risques et en gestion des crises. Ce dernier a effectué une analyse globale de la gestion de crise contemporaine, en la reliant à la problématique de l’eau. Ainsi, 40% de la population mondiale est concernée par les zones de conflictualités hydriques. Face à cet enjeu majeur, il est nécessaire de redéfinir l’ingénierie stratégique. En effet, l’analyse des conflits du passé ne correspond plus. Le contexte sécuritaire a mené à l’émergence de conflits asymétriques (ou hybrides), qui s’inscrivent dans le long terme. Cette nouvelle forme de conflit pose le problème des interlocuteurs : inidentifiables ou illégitimes, il est d’autant plus difficile de négocier une gestion de crise. La complexité de ce contexte s’exprime également dans l’interférence des conflits bilatéraux et multilatéraux, qui ont souvent la caractéristique d’être multi-confessionnaux et multiculturels. Enfin, un autre enjeu est celui de la gouvernance, dans des zones où les Etats sont défaillants. Or, si l’on veut mobiliser les acteurs privés mondiaux, il faut des interlocuteurs stables pour garantir les financements des réseaux et des services d’approvisionnement en eau. La mobilisation de ces circuits d’entreprises est nécessaire pour une sortie de crise durable. En Europe centrale et orientale, à la suite de la Guerre Froide, il y avait cette capacité technique et juridique, et des interlocuteurs identifiables. Au Proche et Moyen-Orient, la gestion de crise peut être complexifiée par ce manque de structures politiques.

L’hydrodiplomatie doit donc allier la science à la politique, en proposant des solutions techniques et technologiques pour assurer une répartition des ressources en eau équitables entre les peuples et les Etats. Là où l’eau attise les conflits nationaux et religieux comme au Proche-Orient, elle doit devenir un véritable objet de coopération : un partage équilibré, garanti par un accord durable et symétrique, est en effet une étape de la paix dans la région. La formation, tant de la population locale que des experts extérieurs, est donc centrale pour parvenir à une gestion de l’eau optimisée et promotrice de la coopération.

Publié le 17/12/2015


Jean-Baptiste d’Isidoro effectue un Master 2 de Géopolitique à l’Université de Paris 1 et à l’Ecole Normale Supérieure. Ayant en particulier travaillé sur l’évolution de la stratégie hydraulique d’Israël depuis 1948, ses travaux de recherche portent sur les enjeux environnementaux et énergétiques.


 


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