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Compte rendu du film Homeland : Irak Année Zéro d’Abbas Fahdel. Sortie nationale le 10 février 2016

Par Louise Plun
Publié le 01/02/2016 • modifié le 20/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Le réalisateur et son projet

Abbas Fahdel est un réalisateur franco-irakien, venu à Paris à l’âge de 18 ans pour suivre des études de cinéma, et doctorant de l’Université Panthéon-Sorbonne Paris I. Il est en autre l’auteur du film documentaire Nous les Irakiens, tourné en 2003 et diffusé en 2004 ainsi que de L’aube du monde sorti en 2009. L’histoire de son dernier film, Homeland : Irak Année Zéro, est singulière. En 2002, avant que n’éclate la guerre en Irak, Abbas Fahdel a le sentiment que le pays qu’il a connu étant enfant et adolescent, est sur le point de disparaître. Il explique alors avoir ressenti le besoin d’y retourner pour le filmer, et pour être auprès de sa famille.

Il se trouve donc en Irak de février 2002 à mars 2003 et filme le quotidien de ses proches, de ses voisins et de la population. Trois jours avant les premiers bombardements américains sur Bagdad qui débuteront le 20 mars 2003, il rentre à Paris pour assister à la naissance de sa fille. En avril, Abbas Fahdel est de nouveau à Bagdad. Au total, le réalisateur a à sa disposition plus de 120h de rushes et de documents.

Cependant, ce n’est qu’en 2013 qu’Abbas Fahdel redécouvre ces images. Le tournage s’était en effet arrêté en raison d’un événement familial tragique, la mort Haidar, âgé de 12 ans, neveu et compagnon de tournage du réalisateur, et visage principal du film. Il est tué d’une balle perdue, appartenant à des tireurs inconnus lors d’un trajet en voiture sur une route dangereuse. Il était « impossible de revoir les images ou de continuer à en constituer » témoigne le réalisateur. Jusqu’au 10 ème anniversaire de l’invasion américaine en Irak, où « je devais le faire » explique ce dernier.

Commence alors un long et douloureux travail de montage. En effet, le réalisateur travaille pendant un an et demi, seul, au montage de son film. Il explique que pour lui, la peine et l’émotion étaient impérativement à mettre de côté pour pouvoir aller jusqu’au bout de la réalisation. Les images impliquaient en effet de revoir des membres de sa famille, des voisins, des enfants, des femmes et des hommes qui avaient été tués. Les parents d’Haidar ont donné leur accord pour présenter et diffuser le film, mais ne l’ont pas visionné.

Une fois le long métrage terminé, il restait à trouver des sociétés de production qui le diffuseraient. Cette étape fût également longue et mouvementée. « J’ai fait le film en me disant que personne n’en voudrait » déclare Abbas Fahdel. Mais en octobre 2014, le festival international de cinéma de Nyon, Vision du Réel, décide de soutenir le film.

Depuis, Abbas Fahdel fait le tour du monde pour présenter son film, qui rencontre un énorme succès, comme en témoigne les nombreux prix remportés (Nyon 2015, Sesterce d’Or - Meilleur film ; Locarno, Prix Doc Alliance Sélection ; DMZ Korea 2015, Meilleur Film…). Mais le plus important aux yeux du réalisateur est celui du Jury et du Public de Yamagata au Japon en 2015.

Le témoignage d’une famille irakienne

« Je voulais faire un film impressionniste, où l’intelligence du spectateur » était requise continue-t-il. En effet, les 334 minutes de film documentaire divisé en deux parties : un avant et un après l’invasion américaine, immergent le spectateur au coeur de la vie des proches du réalisateur, auxquels il s’attache inévitablement. C’est en particulier le cas pour Haidan, qui fait figure de personnage principal. Cet enfant, d’une intelligence, d’une vivacité et vitalité extrêmes, conte l’histoire, la vie et l’actualité difficiles de son pays avec une clairvoyance saisissante et appréhende les enjeux qui se jouent en arrière plan de son quotidien pour les exposer le plus simplement du monde. « Voilà oncle comme leur vie était simple, ils avaient du pétrole et pas de guerre » déclare-t-il à son oncle caméraman lors d’une visite au musée. C’est également Haidan qui retrace le vécu de sa famille lors des guerres précédentes à travers les préparatifs de la future : il faut remplacer le scotch sur les contours des fenêtres pour empêcher qu’elles n’explosent en mille morceaux, creuser un puits dans le jardin en prévision de la pénurie d’eau… Dans la deuxième partie du film, il accompagne son oncle partout et devient ainsi, non seulement son compagnon de tournage, mais également le personnage emblématique du film. « Il s’est accaparé le film et je l’ai laissé faire » rapporte son oncle.

La première partie du long métrage est principalement tournée à l’intérieur, dans la famille d’Haidan et dans celle du réalisateur. Ce cadre de tournage symbolise mais également découle de l’oppression ambiante de la dictature de Saddam Hussein. Abbas Fahdel explique que les photographies et les caméras étaient interdites. De nombreuses scènes témoignent de cette pression et peur ressenties par les personnes filmées qui ont souvent un mouvement de recul face à la caméra. Cependant, les membres de la famille du réalisateur se montrent plus confiants.

Le réalisateur raconte également comment, avant son retour à Paris, trois jours avant l’invasion américaine, il a du faire sortir les images filmées, en particulier celles qui pouvaient mettre sa famille en danger. En effet, les bandes étaient obligatoirement soumises à un contrôle du régime, au Bureau de la censure de l’Office du cinéma, avant la sortie du territoire. « Je n’ai choisi que des images inoffensives » à leur montrer, les autres « sont sorties par la ruse ». A l’inverse, pour ce qui concerne la seconde partie du film, après le début de la guerre et la chute du régime ba’thiste de Saddam Hussein, les témoignages se sont faits plus librement. Abbas Fahdel explique comment, là encore, il a du utiliser une ruse pour pouvoir filmer sans encombre. Il était accompagné d’un ami comédien très connu en Irak, Sami Kaftan, « l’équivalent de Gérard Depardieu en France ». « En le voyant avec la caméra, les gens pensaient qu’il s’agissait de la télévision officielle et les langues se sont déliées ».

Une valeur historique et d’archives

Au-delà d’une histoire de vie, et de la tragédie personnelle, le film constitue une véritable force de transmission historique. La plupart des images de la seconde partie représentent des images d’archives d’une valeur inestimable en ce qui concerne les destructions, les témoignages d’Irakiens et l’état d’esprit régnant dans le pays. La partie II s’ouvre en effet sur les ruines de Bagdad, avec des bâtiments noirs incendiés, et sur un tank américain posté sur l’arcade du musée national d’Irak trouée par un obus.

De la même façon, alors qu’aujourd’hui l’Irak est victime d’un vide médiatique paralysant, le film documentaire d’Abbas Fahdel vient archiver ces années de guerre et illustrer ce que peu ont entendu et n’ont jamais vu. Il vient rappeler en cela une temporalité du témoignage oubliée. « J’ai fais le film parce qu’il manquait des images, on ne voyait pas les 25 millions d’Irakiens ». Enfin, au regard du parcours du réalisateur, de son courage en tant qu’humain et proche des personnes filmées, en tant qu’Irakien face à un pays détruit, le film incarne une véritable vision militante du cinéma.

Sortie nationale officielle, le 10 février 2016.

Site officiel du film : http://abbasfahdel.com/2015/02/12/homeland-iraq-year-zero/

Publié le 01/02/2016


Louise Plun est étudiante à l’Université Paris Sorbonne (Paris IV). Elle étudie notamment l’histoire du Moyen-Orient au XX eme siècle et suit des cours sur l’analyse du Monde contemporain.


 


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