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Donald Trump et Jérusalem : derrière le symbole, une potentielle redéfinition des enjeux entourant le conflit israélo-palestinien (2/2)

Par Ines Gil
Publié le 17/01/2018 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 10 minutes

Ines Gil

Lire la partie 1 : Donald Trump et Jérusalem : derrière le symbole, une potentielle redéfinition des enjeux entourant le conflit israélo-palestinien (1/2)

Une redéfinition des rôles des acteurs entourant le dossier israélo-palestinien

Le 13 septembre 1993, Yitshak Rabin et Yasser Arafat échangent une poignée de main historique. Symbolisant le dialogue entre Israéliens et Palestiniens, elle cristallise tous les espoirs de paix. Sur le plan secondaire du cliché, le Président américain, Bill Clinton, invite les deux dirigeants à se saluer. Il a été le principal médiateur des Accords d’Oslo. Malgré sa coopération très poussée avec Israël, notamment dans le domaine de la défense, Washington parvient à se placer comme un médiateur crédible des négociations entre Israéliens et Palestiniens, particulièrement au cours de ces années 1990 et 2000. Donald Trump n’était pas le premier candidat à la présidentielle à promettre le déménagement de l’ambassade, car avant lui, Bill Clinton l’avait inscrit dans son programme. Mais une fois élu, l’ancien président démocrate en a constamment repoussé l’application, parvenant ainsi à inscrire les Etats-Unis comme un partenaire relativement neutre et crédible pour accompagner le processus de paix lancé avec les Accords d’Oslo. Ses successeurs Georges W. Bush et Barack Obama n’ont, eux non plus, jamais appliqué le Jérusalem Act.

La déclaration de Donald Trump compromet fortement la place de médiateur des Etats-Unis dans le cadre de discussions entre Israéliens et Palestiniens. Même s’il est pour le moment impossible à un autre Etat d’assumer le rôle des Américains, Donald Trump laisse un vide que d’autres acteurs peuvent avoir pour ambition d’occuper. C’est le cas de l’Union européenne (UE), qui a critiqué la décision américaine par la voix de Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité de l’UE. Au lendemain de la déclaration, elle condamne la décision de Donald Trump, comme la quasi-unanimité de la communauté internationale. Le 12 décembre suivant, alors que l’UE accueille Benyamin Netanyahou en visite à Bruxelles, elle réaffirme la position européenne qui prône la coexistence de deux Etats et la partition de Jérusalem, ajoutant que la décision américaine constitue un « danger » (1). L’UE a développé des relations privilégiées avec Israël, notamment dans le domaine de l’innovation, et elle est aussi le premier bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne. En novembre 2015, la Commission européenne a demandé l’étiquetage des produits en provenance des colonies israéliennes. D’un autre côté, le Hamas est classé comme organisation terroriste par l’UE. Cette entité possède donc une certaine légitimité comme médiateur neutre. Cependant, elle montre régulièrement des difficultés à parler d’une seule voix sur la scène internationale. Sur la question de Jérusalem, les divergences ont été exposées au-devant de la scène depuis début décembre. La Hongrie et la République Tchèque, contrairement à l’Allemagne ou la France, n’ont pas condamné la décision de Donald Trump et on même montré un certain soutien à Israël.

L’UE étant en difficulté pour assumer ce rôle, la décision du Président américain pourrait laisser la possibilité pour d’autres Etats de se positionner sur le dossier israélo-palestinien, selon Vincent Lemire. Le chercheur écarte d’ores et déjà le Royaume-Unis, « qui n’a pas la crédibilité ni la neutralité nécessaire en tant qu’ancienne puissance coloniale de la Palestine mandataire », et dont la Première ministre a affirmé début novembre « qu’elle assumait totalement la déclaration Balfour [de 1917, qui prévoit la constitution d’un Foyer national juif en Palestine] ». Pour lui, la Russie, au contraire, « peut éventuellement jouer un rôle dans le futur ». Quelques mois avant la déclaration de Donald Trump, la Russie a reconnu Jérusalem Ouest comme capitale d’Israël. Cependant, elle est restée très discrète depuis la déclaration du président Trump. Moscou se concentre pour le moment sur le dossier syrien. Etonnamment, plus à l’Est, la Chine « montre un intérêt grandissant pour le conflit israélo-palestinien ». Pékin a condamné la décision américaine et invité les acteurs du conflit à se rendre en Chine pour d’éventuelles discussions. Cependant, un mois après la déclaration de Donald Trump, c’est la France qui a gagné le plus de crédibilité pour jouer ce rôle de médiateur dans le futur. « Capable d’assumer un leadership sur ce dossier », elle n’en a cependant pas montré une très forte ambition, comme en témoigne son silence lors de la visite de Benyamin Netanyahou à Paris, le 10 décembre 2017. Bien que Paris souhaite jouer un rôle, le conflit israélo-palestinien ne figure pas en première ligne dans la liste de ses priorités dans la région.

Parmi les Etats musulmans, les réactions sont vives au lendemain de la décision de Donald Trump, considérant le caractère hautement religieux de l’Esplanade des mosquées, qui renferme la Mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint en islam sunnite. Au Moyen-Orient, la déclaration du Président américain a révélé l’évolution des acteurs régionaux dans le conflit israélo-palestinien. L’Iran, dont les relations se sont dégradées avec les Etats-Unis depuis l’accession de Donald Trump à la présidence, s’est placé comme un des défenseurs de la cause palestinienne, « gagnant ainsi du terrain dans sa popularité auprès de la rue arabe », selon Ofer zalzberg. La stratégie iranienne contraste avec celle de l’Arabie saoudite, qui s’est fortement rapprochée d’Israël ces dernières années. Riyad a affiché une critique de façade pour rassurer sa rue, mais « avant même la déclaration de Donald Trump, des informations ont fuité sur une proposition de paix des Saoudiens, suggérant qu’Abu Dis [la banlieue de Jérusalem située à l’est du mur de séparation] devienne la capitale du futur Etat de Palestine » (2). Par ailleurs, durant la réunion de crise organisée par la Turquie qui réunissait les chefs d’Etats musulmans quelques jours après la déclaration de Donald Trump, l’Arabie saoudite n’a envoyé que son Ministre des Affaires islamiques, alors que l’ensemble des chefs d’Etat des autre pays étaient réunis.

Pour Ofer Zalzberg, la décision de Donald Trump a aussi révélé l’affaiblissement de la Jordanie. Pour le Royaume Hachémite, qui est le gardien des lieux saints sur l’Esplanade des mosquées, c’est un « véritable échec ». Cela a permis à la Turquie de s’imposer comme un leader de la cause palestinienne depuis début décembre selon Eran Tziskiyahu, qui analyse ces évolutions avec crainte : « Certaines forces externes gagnent du terrain, comme la Turquie, qui est un acteur important », et « l’affaiblissement de la Jordanie est dangereux car ce sont ces Etats [la Turquie] ou des mouvements plus radicaux qui prennent sa place ».

Le renforcement des clivages israélo-palestiniens sur fond de violence constante de basse intensité ?

Au lendemain de la déclaration de Donald Trump, le Hamas appelle à la « troisième Intifada » (3). Au même moment, le Fatah déclare le vendredi 8 décembre « vendredi noir » (4). Dans les semaines qui suivent, des heurts éclatent entre quelques Palestiniens et l’armée israélienne en Cisjordanie. Dans la bande de Gaza, parallèlement aux manifestations, plusieurs roquettes sont envoyées, auxquelles l’aviation israélienne réplique sur des positions du Hamas, causant la morts de plusieurs Palestiniens. Mais malgré la montée des violences en Territoires palestiniens, « l’avènement d’une troisième Intifada semble peu probable » pour Sarah Daoud, doctorante au CERI Sciences Po Paris et spécialisée sur les mobilisations palestiniennes. Selon elle, une Intifada nécessite une « organisation poussée », comme l’a montré la première Intifada en 1987, durant laquelle « les formations politiques palestiniennes avaient rapidement investi le mouvement ». Aujourd’hui, « la relation entre la jeunesse et les élites palestiniennes est marquée par la défiance ». Le contexte territorial est aussi un frein à toute mobilisation structurée : « la fragmentation caractéristique de la réalité territoriale palestinienne limite considérablement les soulèvements de masse ». Paradoxalement, les protestations ont été bien plus intenses en Cisjordanie et à Gaza qu’à Jérusalem. Dans la ville sainte, des Palestiniens ont « suivi les mouvements de grève », ils ont « organisé des débats », mais « ce type de protestation, assez restreint, est un peu la seule forme de mobilisation disponible pour les Palestiniens de Jérusalem, plus exposés à la répression que dans les Territoires palestiniens [Cisjordanie et Gaza] », selon la chercheuse. D’autant plus que la seconde Intifada, très violente, a marqué les esprits en épuisant l’effort de mobilisation palestinien.

Cependant, de manière paradoxale, la décision de Donald Trump pourrait renforcer la cohésion palestinienne. Pour Sarah Daoud, « concernant le processus de réconciliation palestinienne [entamé en octobre 2017 entre le Hamas et le Fatah] (5), elle pourrait avoir un effet positif » (6), car « l’union nationale est de rigueur dans ce contexte tourmenté, et l’Autorité palestinienne comme le Hamas ne peuvent se permettre de décevoir les Palestiniens ». Dès le lendemain de la déclaration américaine, les leaders des deux mouvements palestiniens ont accéléré leur rapprochement : « le 7 décembre […], le Premier ministre Rami Hamdallah s’est par exemple rendu à Gaza pour superviser le transfert des autorités ministérielles ».

Côté israélien, la déclaration de Donald Trump a largement fait consensus au sein de la société. Elle correspond à la vision qu’une majorité d’Israéliens partage sur Jérusalem, comme l’affirme Eran Tzidkiyahu : « les Israéliens, dans leur majorité, sont favorables à la décision de Trump » car « tous les juifs, même les laïcs, veulent une reconnaissance à leur attachement historique au Mont du Temple (Esplanade des Mosquées pour les musulmans) ». Par ailleurs, les Israéliens sont favorables au statut quo [réaffirmé par Donald Trump], car « la majorité des juifs ne va pas au Mont du Temple » et « ne souhaite pas s’y rendre » ajoute Eran Tzidkiyahu. Cependant, même si ce n’était pas son intention, par la dimension symbolique de sa déclaration, le Président américain a aussi encouragé une frange très minoritaire de juifs pratiquants qui appellent à la reconstruction du troisième temple. Ces dernières années, les partisans du troisième temple se sont rendus régulièrement sur l’Esplanade des mosquées pour y prier, créant ainsi de nombreux heurts avec des fidèles palestiniens. Etant donné que le statu quo interdit à des non-musulmans d’y organiser des prières, la police israélienne a été dans l’obligation d’expulser, parfois par la force, certains partisans du troisième temple. La déclaration de Donald Trump n’a pas de conséquences directes sur ce mouvement, mais elle arrive à un moment où cette mouvance du sionisme national-religieux grandit, et elle lui permet de gagner en confiance. Pour Eran Tzidkiyahu, la croissance d’une telle idéologie est visible « depuis la perte de la bande de Gaza, en 2005 ». Selon lui, à chaque fois qu’Israël a abandonné des territoires conquis, « il y a eu un choc dans le nationalisme religieux israélien », qui s’est concentré autour de Jérusalem et s’est renforcé. « Ces évolutions ont débuté quand Israël a rendu le Sinaï à l’Egypte, dans les années 80 ». A l’époque, le groupe nationaliste-religieux Gush Emunim (7) grandit, et concentre ses efforts autour de la ville sainte. C’est à cette période que l’annexion de Jérusalem Est est votée par le Parlement israélien.

Une décision qui rend difficile la relance d’un processus de paix déjà mis au point mort

Tout au long du conflit israélo-palestinien, Jérusalem a constitué un vif point de confrontations entre négociateurs israéliens et palestiniens. L’impossibilité de trouver un compromis autour des lieux saints de Jérusalem s’est renforcée à mesure que les nationalismes de type laïcs prônés par le Fatah côté palestinien ou le Parti travailliste côté israélien, perdaient en vitesse. Par le passé, durant le Sommet pour la Paix au Proche-Orient (Camp David II), initié en juillet 2000, Yasser Arafat et Ehud Barak réalisent un nombre considérable de concessions, qui leur permettent de se rapprocher d’un accord de paix sur les bases de la formation d’un futur Etat palestinien. Cependant, les négociations finiront par échouer, en raison des désaccords sur l’avenir de l’Esplanade des mosquées.

La décision de Donald Trump, applaudie par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou mais fortement dénoncée par le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, creuse le fossé entre élites israéliennes et palestiniennes autour de l’avenir de Jérusalem et de ses lieux saints. Elle témoigne des fortes passions qui entourent la ville, chez les Israéliens comme chez les Palestiniens, dont les représentations nationales mobilisent des rapports historiques, politiques et religieux divergents autour de Jérusalem. Ainsi, le Président américain rend plus difficile la relance d’un processus de paix. Celui-ci est au point mort depuis la tentative ratée du Secrétaire d’Etat américain John Kerry, en 2014.

Conclusion

En reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, Donald Trump tourne le dos à un consensus international autour du statut de la ville sainte. Bien que reposant sur des bases fragiles, ce consensus était utilisé dans les négociations israélo-palestiniennes autour du statut de Jérusalem, dans l’optique de la création d’un futur Etat palestinien. Le Président américain replace, sans le vouloir, la question palestinienne au centre des discussions internationales. Cependant, il fragilise dans le même temps les minces espoirs de dialogue en vue d’un accord futur sur la partition de Jérusalem. Devant ce désengagement américain, la place de médiateur se libère pour d’autres Etats ou acteurs non étatique. Cependant, qu’il s’agisse de la France, de l’Union européenne, de la Chine ou encore de la Russie, malgré leur intérêt pour la question, ils ne se placent pas pour le moment comme des acteurs suffisamment ambitieux et indispensables à la résolution de ce conflit. D’autant plus que le conflit israélo-palestinien ne fait vraisemblablement plus un dossier prioritaire au Moyen-Orient.

Lire également sur Les clés du Moyen-Orient :
 Entretien avec Vincent Lemire – Retour sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par Donald Trump
 Vincent Lemire (dir.), Jérusalem. Histoire d’une ville-monde
 Donald Trump et le conflit israélo-palestinien, un président qui s’affirme en rupture mais dont la politique étrangère s’inscrit dans la tradition de la diplomatie américaine
 La déclaration Balfour : un anniversaire confronté à l’actualité
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Notes :
(1) STROOBANTS Jean-Pierre, « Statut de Jérusalem : Fragile unité de l’UE face à Netayahou », Le Monde, Le 12 décembre 2017, Consulté le 6 janvier 2018 (en ligne), URL : http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2017/12/12/statut-de-jerusalem-fragile-unite-de-l-ue-face-a-netanyahou_5228366_3218.html
(2) Propos recueillis par Ines GIL, « Entretien avec Vincent Lemire – retour sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par Donald Trump », Publié le 13 décembre 2017, en ligne, URL https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Vincent-Lemire-Retour-sur-la-reconnaissance-de-Jerusalem-comme.html
(3) « Jérusalem : Le Hamas appelle à une « nouvelle Intifada » après l’annonce de Donald Trump », La Croix, Le décembre 2017, Consulté le 6 janvier 2018 (en ligne), URL : https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Jerusalem-Hamas-appelle-nouvelle-intifada-lannonce-Donald-Trump-2017-12-07-1200897828
(4) Idem.
(5) « Bande de Gaza : Le Hamas et le Fatah signent un accord de réconciliation au Caire », France 24, Le 12 octobre 2017, Consulté le 6 janvier 2018 (en ligne), URL : http://www.france24.com/fr/20171012-gaza-territoires-palestiniens-fatah-hamas-signent-accord-reconciliation-caire-abbas
(6) Entretien réalisé le 9 décembre 2017 avec Sarah Daoud.
(7) Gush Emunim est un mouvement politique messianique israélien né à la suite de la Guerre des Six Jours (1967). Il prône la colonisation des territoires occupés à l’issue de la guerre, notamment en Cisjordanie (Judée-Samarie biblique).

Publié le 17/01/2018


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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