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Entretien avec Mireille Jacotin et Aurélie Bosc, commissaires de l’exposition « Le goût de l’Orient »

Par Mireille Jacotin
Publié le 27/06/2013 • modifié le 24/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Musée Granet, faïence, inv 942.1

Lire également : Exposition « Le goût de l’Orient – Collections et collectionneurs de Provence », 22 juin-15 septembre 2013, Cité du Livre, Bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence

Comment avez-vous eu connaissance de ces objets ? Comment avez-vous eu l’idée de les réunir et de monter cette exposition ?

Les fonds orientaux des bibliothèques sont en général assez bien identifiés, dans la mesure où la politique du livre encourage les catalogages systématiques et la diffusion publique, notamment par le biais de la numérisation. En ce qui concerne les fonds d’objets mobiliers, leur identification est assez inégale, et ce pour plusieurs raisons : les musées de beaux-arts qui sont dépositaires de ces collections d’objets mobiliers (de type ethnographique, comme au Musée départemental de Gap, ou de type « objets d’art décoratif » comme au Musée Granet d’Aix en Provence ou au Musée Grobet Labadié de Marseille) ont plutôt tendance à valoriser le patrimoine occidental des XVIIIème et XIXème siècles, et ont assez peu l’occasion de documenter les objets « orientaux ». Ainsi par exemple, le fonds oriental du musée Granet n’a été présenté au public qu’en 1971 à Aix en Provence, lors d’une exposition qui a duré quelques semaines à l’occasion de la tenue à l’université d’Aix d’un congrès d’art turc organisé par le professeur Robert Mantran. Le lien personnel entre Robert Mantran et Louis Malbos, alors conservateur du musée Granet, avait permis la préparation de cette exposition. La venue à Aix de conservateurs des musées nationaux parisiens ou des musées d’Europe, fut l’occasion de leur soumettre ces objets pour identification. C’est ainsi que nous avons retrouvé, dans les archives du Musée Granet, des notes de Louis Malbos concernant chaque objet oriental ; un croquis accompagne ces notes augmentées des remarques faites par ces « experts ». La situation est différente à Carpentras autour des grands tableaux qadjars, puisqu’ils furent versés au musée par Jules Laurens et ramenés par lui de son voyage dans le cadre de la mission géologique de Xavier Hommaire de Hell ; leur documentation est plus aisée, puisque l’histoire de leur entrée dans la collection est clairement connue.
Nous avons souhaité participer à la diffusion de ces collections méditerranéennes en s’attachant justement à souligner l’histoire de leur entrée dans les collections publiques et rendre ainsi hommage aux collectionneurs. Il est d’ailleurs intéressant de constater que dans la très grande majorité, ces collections ont été versées aux bibliothèques et musées en région PACA de manière très généreuse, rares en effet sont les acquisitions réalisées à titre onéreux par ces institutions patrimoniales.

Par qui ont-ils été rapportés et pour quelles raisons ? A quelles époques ?

Méjanes ms1350(Res-ms-9) Coran perse.

Les fonds les plus anciens que nous avons recensés à Aix en Provence proviennent de la collection de Peiresc, grand érudit, ami de Rubens et qui travaillait en réseau avec de nombreux savants en Europe et sur le pourtour méditerranéen. A l’époque de Louis XIII, Peiresc participa à l’édition de la Bible Polyglotte en sept langues, publiée en 1645 grâce au mécénat d’un particulier parisien, Le Jay ; cet intérêt pour les langues de Méditerranée, leur traduction, la constitution de corpus par l’enrichissement de collections de manuscrits et d’objets épigraphiés nous ont guidées pour concevoir cette exposition. Peiresc a également collectionné des documents ottomans, dont un firman de Soliman le Magnifique daté de 1540 conservé dans un des livres de sa bibliothèque. Des objets de la collection de Peiresc, en particulier des pièces de monnaies de sa collection de médailles, passèrent ensuite dans la collection des Fauris de Saint Vincens, magistrats et parlementaires de la ville d’Aix ; ce fonds fut acquis en 1821 par la ville d’Aix. Une rondache ottomane contemporaine du règne de Soliman le Magnifique et portant une épigraphe en arabe, issue de la collection des Fauris, est également présentée. Ces savants sédentaires faisaient venir à eux des objets de l’espace méditerranéen pour enrichir leurs cabinets.

Quelles sont les provenances géographiques de ces objets ?

Les objets et manuscrits présentés dans l’exposition sont issus de l’espace méditerranéen, mais aussi du monde iranien et indien, puisque est évoquée la personnalité de Garcin de Tassy ; des pages de miniatures indiennes qui ont été versées récemment au Musée Granet d’Aix en Provence sont ainsi exposées pour la première fois et publiées par notre collègue Yves Porter de l’université d’Aix en Provence.
La stèle de Béréniké (actuellement Benghazi en Libye) provenant de la collection de Cardin Lebret est également présentée, puisque l’identité des collectionneurs provençaux grâce auxquels elle a pu nous être transmise, depuis le XVIIème siècle, est clairement référencée.
Sont également présentés des objets et documents relatifs à l’Egypte, autour des Marseillais Clot-Bey et Pascal Coste qui participèrent à la modernisation de l’Egypte de Mehmet Ali.
Cette exposition est également l’occasion de rappeler que plusieurs participants à l’expédition d’Egypte (1798) furent des Provençaux, comme Venture de Paradis (m. 1799), bien sûr, mais aussi Amédée Jaubert qui lui succéda comme premier interprète auprès de Bonaparte et qui est à l’origine d’une méthode d’apprentissage du turc.

Pouvez-vous nous donner des exemples d’objets collectionnés par ces érudits ?

La personnalité de Auguste Pécoul, mort en 1916, est très intéressante pour l’enrichissement des collections aixoises à la fin du XXème siècle et au début du XXème siècle. Chartiste, diplomate, catholique, il fut en poste à Madrid, et constitua une collection de livres et d’objets marquée par l’éclectisme ; il conservait ainsi dans sa bibliothèque versées à la Méjanes, plusieurs exemplaires de la Bibliothèque Orientale de Barthélémy d’Herbelot qui fut publiée en 1776 grâce au travail de Galland et qui constitua pendant longtemps une source importante pour la connaissance des sociétés de Méditerranée. Néanmoins, il est certain que Pécoul fut marqué par Ernest Renan qui contribua à l’orientalisme savant en soulignant au XIXème siècle, à la suite des fouilles archéologiques qu’il mena, l’intérêt pour les langues et les civilisations phéniciennes, mais aussi pour les territoires de Palestine et leurs références bibliques.

Quelles sont les thématiques abordées au cours de l’exposition ?

Le parcours est organisé de manière chronologique, de la fin du XVIème siècle jusqu’au milieu du XXème siècle, et scandé par de grandes personnalités, savants ou collectionneurs, qui, depuis Nicolas Fabri de Peiresc ont utilisé les supports matériels du patrimoine pour essayer de comprendre l’histoire et le monde. Les documents les plus récents sont ceux prêtés par la MMSH d’Aix en Provence et associés à Arsène Roux qui contribua à l’étude des langues berbères du Maroc et engagea des travaux de lexicologie afin de constituer un dictionnaire, projet qu’il ne put malheureusement mener à bien.

Comment cette exposition s’intègre-t-elle dans le thème de l’orientalisme et dans celui, très en vogue aujourd’hui, des arts de l’islam ?

Le propos de l’exposition est clairement de proposer une définition de l’orientalisme savant, et de conclure sur la question de la peinture orientaliste, sans doute mieux connue du grand public. La dernière salle en effet permet de présenter un grand tableau de peinture qadjare, La Danseuse au tambourin (musée de Carpentras) ramenée par Jules Laurens de son voyage en Iran, qui témoigne d’une certaine manière, par sa technique, son format et son genre, de la connaissance par les artistes iraniens, des arts visuels de l’Europe occidentale. Face à cette toile de grand format, deux toiles prêtées par le Musée Granet d’Aix en Provence ; l’un est un petit Portrait du peintre Loubon, connu surtout pour ses grandes toiles illustrant des paysages de Provence, par Honoré Boze, représenté portant des costumes relevant de l’espace méditerranéen. La tendance à l’occidentalisation dans les arts visuels de l’Iran qadjar vient ainsi en résonance au goût pour l’Orient de certains artistes occidentaux, céramistes comme Théodore Deck, ou peintres. La seconde toile orientaliste présentée est l’œuvre de Victor Huguet, qui participa à la fondation de la Société des peintres orientalistes au moment de la première exposition d’art musulman de 1893 à Paris.

Musée Granet, Rondache, inv 821.1

Cette exposition entend certes montrer la richesse des ressources patrimoniales en région PACA pour les cultures méditerranéennes ; volontairement, il a été fait peu appel aux collections d’archéologie méditerranéenne pour l’Egypte par exemple, qui nous semblent mieux connues du grand public. Mais nous avons souhaité rappeler que l’orientalisme est d’abord un domaine savant, celui de l’apprentissage des langues et de leur traduction, et que la constitution de collections de manuscrits orientaux est engagée dès le XVIème siècle par des savants mais aussi par le pouvoir royal en France. La volonté politique de Louis XIV de s’attacher la communauté maronite, associée aux entreprises de traduction des textes religieux à Paris, est abordée dans l’exposition ; l’Aixois Galaup de Chasteuil qui mourut au Mont Liban au XVIIème siècle, est contemporain de cette politique du pouvoir royal de diffuser la foi catholique vers les territoires méditerranéens de l’Empire ottoman en s’attachant la bienveillance des communautés chrétiennes locales. De fait, l’orientalisme comme domaine savant, apparaît également comme un outil qui participe à la propagande royale du XVIIème siècle en Méditerranée.

L’exposition permet d’apporter au public une approche nuancée sur la nature de l’orientalisme, à partir de l’histoire de ces savants orientalistes et de leurs contributions respectives. Le Dictionnaire des orientalistes de langue française publié sous la direction de François Pouillon (Karthala) a constitué pour les commissaires de l’exposition un outil particulièrement précieux, et nous considérons que la forme de l’exposition permet une diffusion plus aisée auprès du grand public de sujets aussi cruciaux que ceux de la constitution des savoirs en sciences humaines.

Publié le 27/06/2013


Mireille Jacotin est conservateur du patrimoine, ministère de la Culture et de la Communication. Elle est la commissaire, avec Aurélie Bosc, de l’exposition "Le goût de l’Orient" présentée à la Cité du Livre à Aix en Provence.


 


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