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L’Arabie saoudite et les Etats-Unis : une relation sur le déclin (2/2) : relations militaires, politiques et stratégiques entre les deux pays

Par Matthieu Saab
Publié le 02/11/2016 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 15 minutes

President Barack Obama (L) and the King of Saudi Arabia Salman bin Abdulaziz al-Saud ® are seen as they take part in a family photo during US - Gulf Cooperation Council (GCC) summit in Riyadh, Saudi Arabia on April 21, 2016.

Pool / Bandar Algaloud / Anadolu Agency / AFP

Les relations militaires et diplomatiques

Alors que l’un des piliers de la « doctrine Obama » au Moyen-Orient est constitué par le principe qui impose que les Etats-Unis doivent éviter de s’impliquer militairement et même politiquement dans un conflit au Moyen-Orient, à moins que ce conflit ne constitue un danger sérieux et imminent pour sa sécurité, les Saoudiens eux ont adopté une politique tout à fait différente (1).

Le partenariat entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, ancienne pierre angulaire de la politique américaine dans le Golfe persique connaît de profonds changements structurels. La dépendance saoudienne quasi-totale de l’armée américaine (2) pour la protection de ses frontières et de son régime intérieur, a ralenti la marche des Saoudiens vers l’indépendance. Or, les Saoudiens doutent de la capacité des Américains à continuer à jouer le rôle de « gendarme » régional. Dans ces conditions, et depuis l’accession au trône du roi Salman en janvier 2015, l’Arabie saoudite veut développer une politique étrangère indépendante destinée à contrer la menace iranienne, notamment au Yémen (3).

L’Arabie saoudite considère que les Etats-Unis doivent s’engager à affaiblir l’Iran, à détruire l’Etat islamique, à modifier l’équilibre des pouvoirs dans la guerre civile syrienne au détriment de Bachar al-Assad, à trouver une solution au conflit israélo-palestinien (4) et au conflit yéménite. Les Américains pour leur part ont des ambitions plus circonscrites. Ils sont toujours engagés dans la lutte contre le terrorisme dans la région, notamment grâce à l’utilisation de leurs drones, veulent affaiblir l’Etat islamique et l’empêcher d’occuper des villes stratégiques en Irak, soutiennent l’Arabie saoudite au Yémen, souhaitent que les rencontres diplomatiques de Vienne permettront la conclusion d’un accord qui soulagerait les populations syriennes dans le cadre d’une fin définitive de la guerre civile (5). Enfin, ils estiment que le conflit israélo-palestinien se trouve dans une impasse.

En ce qui concerne l’endiguement de l’Iran, et alors que les Américains ne sont pas prêts à rétablir leurs relations diplomatiques avec ce pays, comme le craignent les autres pays du Golfe persique, ils n’écartent pas la possibilité de trouver des accommodements avec Téhéran en Irak et dans le cadre de la lutte contre l’Etat islamique. Les Américains considèrent que l’accord sur le nucléaire passé avec les Iraniens est un symbole victorieux, face à une puissance idéologiquement implacable. Les Etats-Unis n’écartent pas le renforcement de l’Iran dans le Golfe persique stratégiquement vital pour les pays occidentaux (6). Cela constituerait un grave revers pour les Saoudiens.

En attendant, les deux pays se soutiennent dans les campagnes militaires qu’ils poursuivent. Les Saoudiens participent officiellement aux bombardements aériens contre l’Etat islamique en Syrie. L’appui de la population saoudienne à cette campagne donne une légitimité internationale à l’effort américain. Bien que la contribution saoudienne ait diminué durant les derniers mois, car l’Arabie saoudite se concentre sur ses opérations militaires au Yémen, sa participation à la coalition américaine permet de rejeter l’image d’une « croisade américaine contre les musulmans ».

De leur côté, les Américains assurent aux Saoudiens et aux huit pays (majoritairement sunnites) qui font partie de la coalition internationale au Yémen un apport non négligeable en termes de renseignements et de soutien logistique à la campagne qu’ils mènent avec le Président Abdrabbuh Mansour Hadi contre les Houthis qui représentent la minorité chiite des Zaidi vraisemblablement appuyée par les Iraniens et par l’ancien Président Ali Abdullah Saleh. Les Saoudiens et les forces gouvernementales du Président Hadi ont apporté leur soutien à la résolution 2216 des Nations unies, qui prévoit le retrait et le désarmement des Houthis. Les djihadistes de al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA) et des affiliés de l’Etat islamique ont occupé des territoires dans le sud du pays (7) et continuent à affronter les forces pro-gouvernementales du Président Hadi. Il faut également signaler que les Etats-Unis fournissent une assistance (bien insuffisante) afin de limiter les dommages collatéraux au Yémen.

Le détroit de Bab al-Mandab (la « porte des lamentations ») séparant Djibouti et le Yémen, la Péninsule arabique et l’Afrique, fait la jonction entre la Mer rouge et le Golfe d’Aden dans l’Océan Indien. Ce détroit est stratégique car il assure le transit de la quasi-totalité du pétrole en provenance des pays du Golfe (8). La campagne militaire dans ce pays représente une évolution essentielle de la politique saoudienne habituée à privilégier l’instrument diplomatique depuis des décennies (9).

Cependant, il est nécessaire d’insister sur le fait que l’engagement des Saoudiens et des Américains dans la poudrière yéménite entraine des drames humains qui consolident l’impopularité de l’Arabie saoudite et des Etats-Unis. Ainsi, et d’après le Guardian, plus du tiers des raids aériens contre le Yémen menés par l’Arabie saoudite ont détruit des institutions civiles, notamment dans les domaines de l’éducation et du médical et cela depuis que les Saoudiens ont apporté leur soutien au gouvernement du Yémen en mars 2015. Les Nations unies considèrent que le conflit a déjà coûté la vie à plus de 10,000 personnes dont 3,800 civils. Ce sont des bombes fabriquées aux Etats-Unis qui sont utilisées par les Saoudiens au Yémen (10).
Cette situation est alarmante, surtout si l’on considère que sous la présidence Obama, les Etats-Unis ont vendu des armes aux Saoudiens pour un montant trois fois plus élevé que les ventes effectuées sous l’administration Bush (11). D’autre part, il faut signaler que beaucoup de ces armes sont utilisées par les Saoudiens sans aucun contrôle par l’armée américaine.

Les deux pays collaborent aussi dans le cadre du renseignement contre le terrorisme. Ainsi, il est avéré que le ministre saoudien de l’Intérieur, le prince Mohammad Ibin Nayef, a livré aux Etats-Unis des informations vitales afin d’éviter une attaque terroriste dévastatrice en 2010. Les deux Etats collaborent également depuis 2004 afin de limiter et de réduire le financement du terrorisme grâce à l’identification des organisations et des individus qui le soutiennent (12).

Les Saoudiens ont obtenu des concessions américaines de taille. Ainsi, la répression du soulèvement à Bahreïn déclenché le 14 février 2011, n’a pas été ouvertement critiquée par les Américains et la situation humanitaire au Yémen n’entraine pas de protestations de ces derniers. Enfin, les Américains ont endossé la responsabilité de la chute de Moubarak en Egypte suite à un coup d’Etat militaire financé par les pays du Golfe (13). Cependant, Barack Obama n’a pas donné gain de cause aux Saoudiens en Syrie où il a refusé d’intervenir militairement car il est persuadé qu’une intervention dans ce pays le conduirait à une désastreuse impasse.

D’autre part, un malentendu a brouillé les relations entre les deux alliés depuis les Printemps arabes. Obama a considéré que les soulèvements arabes constituent une chance inespérée et une opportunité d’installer la démocratie dans ces pays et de mettre fin à l’immobilisme et à la stagnation de la région. Or, les Saoudiens considèrent que ces soulèvements constituent, pour la monarchie wahhabite, un danger mortel. En effet, la famille royale et le gouvernement saoudien ne veulent pas transformer leur pays afin d’en faire une démocratie moderne respectueuse des droits de l’homme, comme l’aurait souhaité le Président Obama.

Le discours entre les deux parties est basé sur l’engagement et les réassurances donnés par les Américains ; la logique sous-tendue de ces relations est basée plus prosaïquement sur ce qui constitue des négociations interétatiques. En fait, les dirigeants saoudiens ont été frustrés, non pas par les doutes de Barack Obama, mais par sa volonté de ne pas subordonner les intérêts des Américains dans la région à leurs préférences (14).

Dans ces conditions, il faut rappeler que les relations entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis sont basées sur des intérêts communs et non sur des valeurs communes. Et leurs intérêts sont de moins en moins compatibles. Or, après 25 ans d’engagement militaire direct ou indirect infructueux au Moyen-Orient, les Etats-Unis ne veulent plus être piégés par de futures crises.

Ainsi, les nouvelles relations entre l’Arabie saoudite et les Américains seront plus réticentes. Les deux alliés devront diminuer leurs exigences réciproques et continuer à avoir des désaccords concernant la sécurité de la région ; ils pourront trouver des arrangements lorsqu’ils ont les mêmes intérêts. Les deux pays n’auront plus une alliance ou même un « partenariat stratégique » significatif. Au lieu de quoi, ils mettront en place une relation réaliste et durable dépouillée de leurs illusions et de leurs mauvaises perceptions qui leur permettra d’avoir moins de déception et de mettre néanmoins en place une coopération ad hoc (15).

La volonté de Barack Obama de privilégier la diplomatie au dépend de la force militaire, son scepticisme à l’égard des alliés traditionnels des Etats-Unis dans la région, son désir de combler ses différends avec les ennemis historiques des Etats-Unis, son manque d’intérêt pour le Moyen-Orient et son rêve de recentrer les intérêts économiques des Américains vers l’Asie, provoquent une panique en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe.
En fait, il y a toujours eu quelque chose d’incongru dans l’alliance entre une démocratie libérale et une monarchie traditionnelle fondée sur l’austérité islamique et les pétrodollars. Durant la guerre froide, l’opposition des deux parties à l’Union soviétique a été dissimulée par la nécessité de mettre fin à l’Empire soviétique. Durant la période qui a suivie la guerre froide, les réserves massives de pétrole saoudien et la nécessité de contrer Saddam Hussein masquèrent les contradictions fondamentales qui ont longtemps mystifié les relations américano-saoudiennes. La tragédie du 11 septembre et le fait que 15 des 19 pirates étaient d’origine saoudienne, ébranlèrent les relations entre les deux pays (16).

Positionnement stratégique de l’Arabie saoudite dans la région

L’accession du roi Salman au pouvoir en 2015 et la décision d’intervenir militairement au Yémen marquent une nouvelle page dans le développement de la politique étrangère de l’Arabie saoudite. La nouvelle génération des dirigeants saoudiens recherche de nouvelles solutions dans un environnement de plus en plus incertain. Cette génération est confrontée aux résultats incertains d’une politique basée exclusivement sur l’utilisation de la force militaire dont elle perçoit les limites. Alors que les conséquences du conflit yéménite sont encore incertaines, les nouveaux instruments de la politique étrangère du roi Salman sont encore en cours de développement.

Durant des décennies, l’Arabie saoudite a été reconnue comme un Etat conservateur recherchant le statu quo au Moyen-Orient et le maintien des Etats souverains dans la région, ainsi que la présence américaine. Durant les trois dernières décennies, les Saoudiens ont soutenu, sans succès, la solution des deux Etats afin de résoudre le conflit israélo-palestinien, alors que l’Iran issu de la révolution khomeyniste est considéré comme un Etat révisionniste qui soutient des mouvements révolutionnaires paraétatiques, qui s’oppose à la présence américaine dans la région et qui veut mettre fin à l’existence de l’Etat d’Israël. Mais ces paradigmes sont en train de s’infléchir et le système régional est en mouvement (17).

Dans l’environnement de l’Arabie saoudite, les Etats sont en train de s’effondrer en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye. Il ne s’agit pas dans ces pays de guerres pour le contrôle d’un Etat, mais de conflits qui détermineront si l’Etat lui-même continuera à exister dans le cadre de ses frontières du XXème siècle. En attendant, la perception par l’opinion publique du désengagement américain de la région est suffisamment partagée afin d’encourager les Russes à accroitre leur présence militaire. En Syrie et en Irak, l’Iran se bat pour la consolidation des régimes en place grâce à des acteurs paraétatiques qui affaiblissent la souveraineté de ces régimes. Dans le passé, l’Iran était considéré comme un Etat qui exporte la révolution ; à présent, il est considéré comme un défenseur de l’ordre établi (18).

De leur côté, les Saoudiens, au lieu de consolider la contre-révolution, réagissent aux soulèvements de manières différentes : ils encouragent le changement de régime directement en Syrie et méthodiquement en Libye, alors que les deux pouvoirs en place sont considérés comme des ennemis. D’autre part, l’Arabie saoudite envoie des chars à Bahreïn où la monarchie est menacée ; elle a hésité à s’engager aux côtés des Frères musulmans en Egypte avant de consolider le coup d’Etat militaire qui a conduit à l’émergence d’un pouvoir semblable à celui de l’ancien régime. La politique saoudienne à l’égard du Yémen est à l’opposé de sa politique à l’égard de l’Egypte. A l’origine, les Saoudiens voulaient soutenir une transition contrôlée qui mettrait fin au pouvoir de Ali Abdullah Saleh au Yémen, puis quand celui-ci s’est allié aux Houthis, l’Arabie saoudite a constitué une alliance internationale afin de le renverser (19).

Sur le plan intérieur et régional, les Saoudiens insistent sur la nécessité de mettre fin à l’influence iranienne dans la région et de consolider la sphère arabe. Or, la guerre au Yémen ne permettra pas de restaurer le statu quo antérieur. Les forces armées en place sont nombreuses : les Saoudiens et leurs alliés, al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), les Houthis, les loyalistes du président Abdrabbuh Mansour Hadi, les partisans de l’ancien Président Ali Abdullah Saleh et les diverses milices locales. Les Saoudiens et leurs alliés exacerbent les tensions centrifuges au cœur du régime. Pendant ce temps, le postulat qui veut que l’Arabie saoudite emploie la force armée uniquement comme moyen de dissuasion est remis en cause.

Dans ces conditions, et depuis l’accession au pouvoir du roi Salman, on peut considérer que ce sont les moyens et l’ambition qui ont changé et non pas les principes qui gèrent la politique étrangère de l’Arabie saoudite. Comme le précisent les diplomates saoudiens, les autorités de leur pays veulent protéger la stabilité intérieure et souhaitent être entourés par des régimes alliés qui participeront avec eux à l’expansion économique de la région et qui acceptent le rôle de l’Occident (20).

L’Arabie saoudite peut-elle trouver de nouvelles alliances ?

Pour les Saoudiens, le retrait américain de la région ne peut pas être comblé grâce à la mise en œuvre de nouvelles alliances. En effet, Moscou et Riyad ont une position radicalement différente sur la guerre civile en Syrie, l’impasse israélo-palestinienne limite les perspectives de coopération avec Israël et l’Egypte, qui dépend financièrement des Etats du Golfe poursuit ses propres objectifs (21).

En ce qui concerne les élections présidentielles américaines, elles ne laissent pas prévoir une remise en cause de la politique suivie par Barack Obama. Donald Trump ne connaît pas les Saoudiens. Sa rhétorique antimusulmane et son engagement dur contre les pays qui pratiquent l’islam radical sont considérés comme des menaces par les Saoudiens. Dans son discours sur sa future politique étrangère, Donald Trump considère que, ni les Saoudiens, ni les autres pays du Golfe persique ne font partie des « Amis de l’Amérique ». D’autre part, il a critiqué les procédures de contrôle des visas laxistes qui étaient en vigueur en Arabie saoudite avant le 11 septembre et qui ont permis a des extrémistes d’al-Qaïda de se rendre aux Etats-Unis (22).
Bien qu’il ait promit de remettre en cause l’accord sur le nucléaire passé avec les Iraniens, Donald Trump a de bonnes relations avec le Président Poutine qui est l’allié de Téhéran. Il n’a pas d’expérience en politique étrangère et ses proches conseillers ne semblent pas en avoir plus que lui sur la politique à suivre dans le Golfe Persique (23).

Hillary Clinton quant à elle a été Secrétaire d’Etat sous le mandat d’Obama et est très connue par les milieux diplomatiques en Arabie saoudite. Elle a en particulier voulu favoriser les réformes politiques à Bahreïn durant le printemps arabe, contre l’avis des Saoudiens ; a fait partie de l’équipe d’Obama qui a abandonné le Président Moubarak en Egypte ; a approuvé l’accord sur le nucléaire passé avec les Iraniens. Riyad estime qu’une présidence Clinton serait une continuité par rapport à celle d’Obama. Or, cette continuité n’est pas exactement ce que recherche l’Arabie saoudite. En fait, les Saoudiens n’ont plus confiance dans le leadership américain.

Pendant ce temps, le président Poutine et Ayatollah Ali Khamenei sont de plus en plus proches. La paranoïa saoudienne à propos de l’Iran est sans doute une exagération mais constitue néanmoins un obstacle à la paix dans cette région du monde (24).

Dans ces conditions, les Saoudiens ne peuvent plus espérer que le nouveau locataire de la Maison-Blanche modifiera le sérieux décalage des intérêts entre les deux pays ou changera profondément la politique américaine dans la région (25). Et durant cette turbulente année 2016, l’électorat du Parti Républicain a démontré sa propre lassitude, qui le pousse à dénoncer les visions expansives des candidats à l’élection présidentielle qui souhaitent transformer la culture politique au Moyen-Orient et encourager la mise en œuvre de régimes démocratiques au cœur du monde arabe. Le Parti Républicain est un parti non-interventionniste et son candidat promet de mettre fin à l’Etat islamique sans pour autant mettre fin aux causes sous-jacentes qui encouragent les idéologies radicales (26).

Il faut espérer que le nouveau chef de l’Etat américain va poursuivre deux voies différentes avec l’Arabie saoudite. D’une part, Washington doit continuer à rassurer Riyad et à assurer la sécurité de ce pays en insistant bien sur le fait que le respect des engagements pris par les Iraniens dans l’accord sur le nucléaire ne peut pas justifier la politique iranienne expansionniste dans le reste du Moyen-Orient. D’autre part, les Etats-Unis doivent insister sur le fait que la stabilité du Moyen-Orient nécessite une évolution de la politique saoudienne. Ce qui permettra de diminuer les tensions entre Iraniens et Saoudiens et de limiter les violences sectaires afin de faciliter les processus diplomatiques et de trouver une solution en Irak, en Syrie, au Yémen et ailleurs (27).

A long terme, l’Arabie saoudite devra encourager la mise en place d’arrangements qui développent une nouvelle répartition des pouvoirs, qui accordent plus d’importance à la bonne gouvernance et qui encouragent une croissance économique afin de faire face au radicalisme dans la région (28).

En attendant l’avènement d’un nouveau chef de l’Etat aux Etats-Unis, il faut signaler que le comportement des sénateurs américains est schizophrénique : ils peuvent considérer que l’Arabie saoudite est un allié vital dans une région déchirée par les conflits, les guerres civiles et le terrorisme. Quelques jours plus tard, les mêmes sénateurs considèrent que l’Arabie saoudite suit une politique comparable à celle d’un Etat-voyou qui finance le terrorisme international auquel les Etats-Unis s’opposent depuis 15 ans (29). Ils peuvent faire confiance aux Saoudiens pour utiliser des armes fournies par les Américains de manière responsable et en accord avec la loi internationale, puis quelques jours plus tard condamner les bombardements aveugles au Yémen.

Si le roi Salman et le prince héritier Mohammad ont une idée confuse à propos de la manière dont les Américains les jugent, ils ne sont pas les seuls. Il devient de plus en plus difficile aux Américains de comprendre l’avis de leurs dirigeants qu’ils ont élus concernant l’Arabie saoudite (30). Ainsi, une semaine avant que le Sénat rejette le veto d’Obama sur la loi Justice Against Sponsors of Terrorism Act (JASTA) qui permet aux victimes américaines ou à leurs familles de poursuivre un gouvernement étranger (celle de l’Arabie saoudite en l’occurrence) s’ils ont un doute sur le fait que ce gouvernement ait aidé ou soutenu l’attaque du 11 septembre, le même Sénat bloque une proposition dont l’objet est d’empêcher la vente pour un montant de 1,15 milliards de dollars de chars Abrams et de munitions à Riyad (31). Dans ces conditions et après la signature de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, l’Arabie saoudite est raisonnablement en mesure de s’interroger sur la crédibilité du Congrès américain (32).

Conclusion

Alors que le Moyen-Orient subit une nouvelle transition violente et vulnérable, il le fera largement sans faire appel aux Américains. Reste à savoir si le XXIème siècle sera un siècle dominé par les Américains dans les autres régions du monde étant bien entendu qu’il ne le sera pas au Moyen-Orient. Les hommes politiques américains des deux camps ne veulent plus consacrer des ressources précieuses afin de stabiliser une région éclatée. Dans ces conditions, aucune alliance historique et aucune vente d’armes impressionnante ne pourra mettre fin aux perspectives différentes entre les deux parties (33).

Lire la partie 1 : L’Arabie saoudite et les Etats-Unis : une relation sur le déclin (1/2) : évolution de la monarchie wahhabite moderne

Notes :

(1) Fahad Nazer, « Will US-Saudi ‘Special Relationship’ last ? », Al-Monitor, http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2016/04/us-saudi-relations.html le 8 avril 2016.
(2) Les Saoudiens sont principalement détenteurs d’armes américaines et dépendent donc de ce pays pour assurer leur défense nationale. Ils ont acheté aux Etats-Unis des armes diverses pour un montant de 13,2 milliards de dollars en 2007-2010 et de 47 milliards de dollars en 2011-2014. Or, les Etats-Unis fournissent ces armes aux Saoudiens avec un retard notable : ces livraisons s’élèvent à un montant de 5,3 milliards de dollars au titre des années 2007-2010 et à 9 milliards de dollars au titre des années 2011-2014. En 2015, ce retard a conduit l’Arabie Saoudite à limiter ses opérations au Yémen. Cf. Anthony H. Cordesman « The Saudi and Gulf Perspective on President Obama’s Visit », Center for Strategic and International Studies.
(3) Perry Cammack et Richard Sokolsky « The new normal in US-Saudi relations », Carnegie Endowment for International Peace, http://carnegieendowment.org/2016/04/13/new-normal-in-u.s.-saudi-relations-pub-63316 le 13 avril 2016.
(4) Ray Takeyh, Hasib J. Sabbagh « An Awkward Silence in Riyadh », Politico, http://www.cfr.org/saudi-arabia/awkward-silence-riyadh/p37787 le 19 avril 2016.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) « Yemen Crisis : who is fighting whom ? », BBC News http://www.bbc.com/news/world-middle-east-29319423 le 16 octobre 2016.
(8) « Yemen Crisis : who is fighting whom ? », BBC News.
(9) Ray Takeyh, Hasib J. Sabbagh « An Awkward Silence in Riyadh » Politico, http://www.cfr.org/saudi-arabia/awkward-silence-riyadh/p37787
(10) Jared Keller « Will Civilian Deaths in Yemen Force a Re-Set on US-Saudi Relations », Pacific Standard, https://psmag.com/will-civilian-deaths-in-yemen-force-a-reset-on-u-s-saudi-relations-c248697f7c5#.7uaqdplpv le 20 septembre 2016.
(11) cf. Jared Keller « Will Civilian Deaths in Yemen Force a Re-Set on US-Saudi Relations ».
(12) Ibid.
(13) cf. Marc Lynch « What’s Really Wrong With the US-Saudi Relationship », Carnegie Endowment for International Peace, http://carnegieendowment.org/2016/04/21/what-s-really-wrong-with-u.s.-saudi-relationship-pub-63407 le 21 avril 2016.
(14) cf. Marc Lynch « What’s Really Wrong With the US-Saudi Relationship », Carnegie Endowment for International Peace.
(15) Perry Cammack « It’s Complicated », Carnegie Endowment for International Peace.
(16) Ibid.
(17) Jane Kinninmont, « Saudi Foreign Policy Is In a State of Flux », Chatham House, https://www.chathamhouse.org/expert/comment/saudi-foreign-policy-state-flux le 17 février 2016.
(18) Ibid.
(19) Ibid.
(20) Ibid.
(21) Perry Cammack « It’s Complicated », Carnegie Endowment for International Peace http://carnegieendowment.org/2016/05/26/it-s-complicated-pub-63681 le 26 mai 2016.
(22) Bruce Riedel « Saudis Expect Little from Next US Leader », Al-Monitor, http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2016/08/saudi-arabia-under-siege-little-hope-relief-washington.html le 19 août 2016.
(23) Ibid.
(24) Ibid.
(25) cf. Ray Takeyh, Hasib J. Sabbagh, « An Awkward Silence in Riyadh », Politico.
(26) cf. Ray Takeyh, Hasib J. Sabbagh, « An Awkward Silence in Riyadh », Politico.
(27) Perry Cammack « It’s Complicated », Carnegie Endowment for International Peace.
(28) Perry Cammack « It’s Complicated », Carnegie Endowment for International Peace.
(29) Daniel R. DePetris, « America’s Irrational Saudi Arabia Relations », The National Interest, http://nationalinterest.org/feature/americas-irrational-saudi-arabia-relations-17880 le 29 septembre 2016.
(30) Ibid.
(31) Ibid.
(32) Ibid.
(33) cf. Ray Takeyh, Hasib J. Sabbagh, « An Awkward Silence in Riyadh », Politico.

Publié le 02/11/2016


Après des études de Droit à Paris et un MBA à Boston aux Etats-Unis, Matthieu Saab débute sa carrière dans la Banque. En 2007, il décide de se consacrer à l’évolution de l’Orient arabe. Il est l’auteur de « L’Orient d’Edouard Saab » paru en 2013 et co-auteur de deux ouvrages importants : le « Dictionnaire du Moyen-Orient » (2011) et le « Dictionnaire géopolitique de l’Islamisme » (2009).


 


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