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L’Orientalisme au XIXème siècle

Par Clémentine Kruse
Publié le 20/06/2012 • modifié le 31/12/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Soldier of the Moroccan Imperial Guard, 1845 , Eugène DELACROIX.

The Art Archive / Musée des Beaux Arts Bordeaux / AFP

Cependant au XIXème siècle, l’Orient devient une question centrale dans la politique des grandes puissances européennes : l’expansion coloniale de celles-ci ainsi que la Question d’orient, qui traverse tout le siècle, font que l’on s’intéresse à des régions auparavant peu connues. De plus, l’amélioration des moyens de transport, et notamment l’arrivée du bateau à vapeur, permettent à de nombreux peintres et écrivains de se rendre eux-mêmes en Orient : les récits de voyage deviennent un genre littéraire à part entière. Entre fantasme romantique et véritables études ethnographiques, les œuvres d’art imprégnées d’orientalisme sont nombreuses au XIXème siècle, et illustrent une vision occidentale de l’Orient, découvert par les artistes européens.

L’essor de l’orientalisme au XIXème siècle : des causes historiques

L’essor de l’orientalisme au XIXème siècle, comme mouvement artistique, est lié aux bouleversements politiques que connaît l’Orient tout au long du siècle, avec l’expansion du colonialisme européen et le lent effondrement de l’Empire ottoman. Lors de l’expédition d’Egypte (1798-1801) des artistes accompagnent le général Bonaparte. Lui-même imprégné de l’orientalisme diffus des Lumières, ayant lu le Fanatisme ou Mahomet de Voltaire, pièce jouée pour la première fois en 1741, Bonaparte souhaitait que l’expédition d’Egypte ne soit pas une simple campagne militaire, mais une véritable expédition culturelle et scientifique. Ainsi, le baron Vivant Denon (1747-1825), considéré comme l’un des fondateurs de l’orientalisme, accompagne Bonaparte en Egypte où il fait de nombreux croquis des sites archéologiques visités. Son ouvrage, Voyage dans la basse et la haute Egypte, publié en 1802, est l’un des premiers d’une longue série de récits de voyage en Orient par des artistes européens, et notamment français, peintres ou écrivains.
La guerre d’indépendance grecque, qui débute en 1821, mobilise fortement l’opinion publique européenne, en raison de la place que la Grèce, et notamment la civilisation grecque antique, occupe dans l’imaginaire européen. Cette guerre mobilise également les artistes européens : l’épisode du massacre de Chios (1822) est resté célèbre en raison du tableau d’Eugène Delacroix (1798-1863), intitulé Scène des massacres de Scio, qui fut exposé au Salon, à Paris, en 1824. D’autres artistes, tel que l’écrivain Victor Hugo (1802-1885) dans son recueil de poèmes intitulé les Orientales (1829), évoquèrent dans leur œuvre ce massacre. La guerre d’indépendance grecque fut également marquée par l’engagement du poète britannique Lord Byron (1788-1824) aux côtés des insurgés grecs, guerre d’indépendance durant laquelle il trouva la mort, ayant contracté une fièvre qui lui fut fatale.
L’expansion coloniale en Orient est également l’un des facteurs historique de l’essor de l’orientalisme en Occident. Ainsi, l’expédition française en Algérie, en 1830, décidée par Charles X plus pour des raisons de politique intérieure – il souhaitait mettre fin à la crise politique qui menaçait de le faire chuter – qu’une réelle volonté d’expansion coloniale, entraine un essor considérable d’œuvres ayant pour thème l’Algérie. De nombreux tableaux d’inspiration orientaliste retracent ainsi la conquête progressive de l’Algérie avec par exemple : le Camp de Staouëli le 14 juin 1830, de Théodore Gudin (1802-1880), ou encore la Capture de la Smala d’Abdelkader, 16 mars 1843 par Horace Vernet en 1843. Lorsque l’installation durable de la présence française en Algérie est décidée, les œuvres se multiplient, avec notamment celles de Delacroix à l’instar des Femmes d’Alger (1834), qui se veulent moins imprégnées de l’imaginaire oriental et plus réalistes. Au tournant du siècle, l’Orient semble désormais accessible aux artistes occidentaux, en majorité français ou britanniques, et l’esthétique orientaliste, qui a pris désormais un essor considérable, influence ainsi la littérature et la peinture occidentales.

L’orientalisme et la littérature : du romantisme aux récits de voyage

En littérature, l’orientalisme doit notamment son essor à l’esthétique romantique, qui glorifie un Orient lointain et souvent fantasmé. Avant le XIXème siècle, de nombreuses œuvres littéraires avaient déjà pour cadre l’Orient, telles que la pièce Bajazet de Racine, présentée en 1672, ou le roman Vathek de William Beckford, publié en 1782. Cependant, ces œuvres n’appartiennent pas au mouvement proprement dit de l’orientalisme : le terme n’apparaît qu’au début du XIXème siècle. Pour les orientalistes français, l’Orient est associé au pourtour méditerranéen : les Orientales de Victor Hugo s’attachent ainsi non seulement à l’Empire ottoman, ou aux pays du Levant, mais à l’Espagne des maure etc. De même, dans le roman de Flaubert (1821-1880), Salambô, publié en 1862, l’action se situe dans la Carthage antique, située dans la Tunisie actuelle. Les thèmes de l’orientalisme littéraire sont souvent imprégnés de l’esthétique romantique : nostalgie des civilisations disparues et décadence liée au temps qui passe, rêve d’exotisme, de voyages et de dépaysement. Le poème Ozymandias, du poète britannique Shelley, publié en 1818, illustre bien ces différents thèmes. Pour les orientalistes britanniques, l’Orient s’étend jusqu’aux Indes, imaginaire façonné par la présence britannique aux Indes depuis le XVIIème siècle, mais qui s’est intensifiée au XIXème siècle.
L’orientaliste apparaît avant tout comme celui qui voyage : ainsi, Flaubert dans le Dictionnaire des idées reçues, définit l’orientaliste comme un « homme qui a beaucoup voyagé [1]. » En effet, au XIXème siècle le voyage en Orient apparaît presque comme une étape obligée pour tout artiste, et nombre d’entre eux en font le récit à leur retour : c’est la vogue du récit de voyage. Chateaubriand, en 1811, est parmi l’un des précurseurs avec son Itinéraire de Paris à Jérusalem. Ce n’est pas le seul : Flaubert, Gautier, Lamartine entreprennent également des voyages en Orient. Nerval, en 1851, publie Un voyage en Orient, récit du voyage qu’il a lui-même effectué près de dix ans auparavant. A la fin du siècle, Pierre Loti ravive le voyage en Orient, en se rendant notamment à Constantinople plusieurs fois, dont il tire plusieurs romans comme Aziyadé (1879) ou Le fantôme d’Orient (1892). Le voyage en Orient comme formateur de l’écrivain occidental se perpétue jusqu’au début du XXème siècle : ainsi, Paul Nizan publie en 1831 Aden Arabie, tiré de son séjour à Aden. Cependant, loin de l’orientalisme et de l’imaginaire du XIXème siècle, l’ouvrage traite du désenchantement du fantasme de l’Orient, tel que celui-ci avait pu être vu et décrit par les artistes du siècle précédant.

Le rayonnement de l’orientalisme dans la peinture du XIXème siècle

Plus que dans la littérature, cependant, c’est dans la peinture que l’orientalisme connaît son heure de gloire, et l’esthétique orientaliste a influencé de nombreux artistes du XXème siècle dont Picasso. La passion de l’Egypte, ou « l’égyptomanie » qui débute avec l’expédition française en Egypte, se propage dans les milieux artistiques français et britanniques. A la suite de Vivant Denon, des artistes tels que Antoine Gros (1771-1835) s’emparent d’épisodes célèbres de la campagne d’Egypte pour en faire le thème central de leur œuvre. Cela se retrouve également dans l’architecture occidentale, qui emprunte certains caractères de l’architecture égyptienne.
A l’instar des écrivains, de nombreux peintres entreprennent de voyager en Orient, afin d’en ramener des scènes et des images propices à la création artistique. Descamps (1803-1860) effectue ainsi un voyage à Smyrne, en 1828, et ses tableaux illustrent les scènes de guerre dont il a pu être témoin, comme La patrouille turque (1831). David Wilkie, peintre britannique, tire quant à lui de son voyage en Egypte un portrait de Méhémet-Ali, alors gouverneur de la région : Méhémet-Ali, Pacha d’Egypte (1841). En 1832, Delacroix, déjà auréolé de gloire, entreprend un voyage au Maroc et en Algérie. Il en tire de nombreux sujets de tableaux, cherchant à capturer la spécificité de l’Orient dans des scènes de la vie quotidienne, comme des Femmes d’Alger, où celles-ci sont représentées dans l’intimité de leur chambre. Ingres (1780-1867), qui n’a lui jamais effectué de voyage en Orient, en tire cependant ses tableaux les plus connus. Ainsi, le Bain turc (1862) met en scène la nudité de femmes s’apprêtant à prendre un bain, usant ici de l’exotisme de la scène pour évoquer ce sujet tabou. Ces représentations de l’Orient sont encore empreintes des idées ainsi que de l’imaginaire romantiques.
Au tournant du siècle, une différente forme de représentation de l’Orient apparaît en peinture. Sous l’influence de l’esthétique naturaliste, qui commence à se développer, ainsi que l’apparition de la photographie, les peintres cherchent désormais à représenter une vision plus réaliste de l’Orient, et s’attachent également à de nouveaux sujets comme les paysages orientaux, jusque là peu représentés. Ainsi, Gustave Guillaumet (1840-1887), faisait partie de l’école dite naturaliste, peint en 1867 un tableau intitulé Le Sahara ou le Désert. De plus, la peinture orientaliste, jusque là, surtout présente dans les écoles française et britannique s’étend désormais à d’autres écoles. La peinture allemande, influencée par l’Ostpolitik de Guillaume II, s’intéresse ainsi à la fin du siècle aux sujets orientaux, tout comme l’école américaine, après 1865. Cependant, c’est également à cette époque que la peinture orientaliste s’essouffle, l’école naturaliste préférant prendre comme sujet des paysages moins exotiques, et les impressionnistes préférant travailler sur la forme et les couleurs de scènes quotidiennes.

L’orientalisme est mouvement esthétique occidental, prenant comme sujet l’Orient, en des représentations tantôt réalistes, tantôt imaginaires et fantasmées. Connaissant un essor considérable au XIXème siècle, il influence à la fois la peinture et la littérature et contribue à créer en Occident un imaginaire de l’Orient. Intrinsèquement lié au mouvement romantique, il naît cependant également des bouleversements politiques que connaît l’Orient au XIXème siècle, avec l’effondrement progressif de l’Empire ottoman ainsi que le véritable début de l’expansion coloniale européenne – notamment française et britannique – au Maghreb et aux Proche et Moyen-Orient.

Lire également :
 L’orientalisme en photographie

Bibliographie :

 Article « Orientalisme » Encyclopedia Universalis.
 John M. MacKenzie, Orientalism, History, Theory and the arts, Manchester Univerity Press, 1995.
 Edward Said, Orientalism, Penguin Books, 2003 (réédition).
 Lynne Thornton, Les orientalistes : peintres voyageurs (1828-1908), ACR Editions, 1983.

Publié le 20/06/2012


Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.


 


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