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La coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne

Par Ines Gil
Publié le 30/06/2017 • modifié le 30/06/2017 • Durée de lecture : 7 minutes

Les évolutions d’une coopération qui émane des Accords d’Oslo

En 1993, l’Etat d’Israël, représenté par Yitzak Rabin, et l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), représentée par Yasser Arafat, signent les Accords d’Oslo et posent ainsi les bases d’une c. Les Accords d’Oslo ouvrent la voix d’un Etat palestinien, en échange duquel l’Autorité palestinienne doit travailler main dans la main avec Israël pour la sécurisation des Territoires palestiniens. Cette coopération est détaillée l’année qui suit, avec la signature du premier accord intérimaire, dit « Gaza-Jéricho », en mai 1994, au Caire. Ces accords prévoient la création d’une force civile de sécurité palestinienne, chargée d’exécuter la coopération sécuritaire en partenariat avec l’armée israélienne. Ils affirment que : « Les deux parties adopteront toutes les mesures nécessaires à la prévention d’actes de terrorisme, de délits et crimes ou d’activités hostiles dirigées l’une contre l’autre », ce qui implique la coordination des services de sécurité israéliens et palestiniens et l’échange d’informations. Par ailleurs, les forces de sécurité palestiniennes doivent « prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher tout acte d’hostilité à l’encontre des implantations, des infrastructures les desservant et de la zone d’installation militaire ». De son côté, l’armée israélienne doit « empêcher les actes d’hostilité émanant des implantations et dirigés contre les Palestiniens » (2). En 1995, les seconds accords intérimaires, ou Oslo II, prévoient la division de la Cisjordanie en trois zones : l’Autorité palestinienne nouvellement créée se voit confier la gestion administrative de la Zone A (18%) ; elle gère conjointement avec Israël la zone B (21%), et la Zone C (61%) où se trouvent les colonies israéliennes, est quant à elle administrée par Israël. Sur le plan sécuritaire, la gestion de ces zones ainsi que des mobilités de biens et des personnes sont basées sur la coopération sécuritaire entre Israéliens et Palestiniens (3).

Cette coopération perdure jusqu’à la fin des années 1990, mais elle prend fin durant la seconde Intifada (2000-2005). En 2005, Mahmoud Abbas, nouvellement élu à la tête de l’Autorité palestinienne, relance la coopération sécuritaire, qu’il considère comme un « pilier de la construction d’un futur Etat palestinien » (4). L’Autorité palestinienne y consacre en effet d’importants moyens : 30 à 45% du budget de l’Autorité palestinienne, et 44% des employés du service public de l’Autorité palestinienne, soit 80.000 Palestiniens, travaillent dans le domaine de la sécurité (5).

Suite à la seconde Intifada, la réforme mise en œuvre par l’Ancien Premier ministre Salam Fayyad (2007-2013) renforce les relations entre Israéliens et Palestiniens en matière de sécurité (6). Soutenue par l’Union européenne et les Etats-Unis, elle permet le démantèlement de groupes armés, la modernisation des forces de sécurité et la création d’unités spécialisées dans la lutte anti-terroriste. Le tout, avec l’aval de l’Etat hébreu (7). En parallèle, à Gaza, l’arrivée du Hamas au pouvoir en 2007 met fin à la coopération sécuritaire avec Israël.

Depuis son retour en 2005, ce mécanisme a permis de créer un dialogue efficace entre Israéliens et Palestiniens, notamment pour la prévention d’attaques terroristes.

Succès des Accords d’Oslo, la coopération sécuritaire est un pilier de la lutte anti-terroriste en Cisjordanie

Cette coopération est considérée comme une des rares réussites des Accords d’Oslo. Selon les estimations des autorités israéliennes, les services de sécurité de l’Autorité palestinienne auraient permis de déjouer 30 à 40% des attaques prévues en Cisjordanie. Elément clé de la lutte anti-terroriste, elle aurait stoppé des dizaines d’attentats à l’encontre de colons et de militaires israéliens. Selon le responsable des Services secrets palestiniens Majid Faraj, sur la période de violence accrue comprise entre octobre 2015 et janvier 2016 - qui correspond aux prémices de l’Intifada des couteaux - les services de sécurité palestiniens auraient empêché 200 attaques violentes fomentées contre des Israéliens (8) et arrêtés 100 Palestiniens soupçonnés de préparer un attentat.

Soutenue par les principaux bailleurs de fonds de l’Autorité palestinienne, principalement les Etats-Unis et l’Union européenne, la coopération sécuritaire jouit d’une bonne image sur la scène internationale. Son efficacité et l’existence d’un dialogue régulier entre les forces israéliennes et palestiniennes font nourrir l’espoir d’une collaboration plus poussée entre Israéliens et Palestiniens. Cependant, ce bilan positif vient masquer les nombreuses critiques.

Une coopération sécuritaire fortement critiquée par la population palestinienne, les opposants politiques au Fatah et les ONG

Parmi la population palestinienne, la coopération sécuritaire est très impopulaire. Les Palestiniens de Cisjordanie considèrent que les descentes régulières de l’armée israélienne en zone A, pourtant illégales, et l’arrestation de nombreux Palestiniens rendent cette coopération dommageable pour la population palestinienne. Un ressenti renforcé par une impression d’impunité dès lors que la victime est palestinienne et que les présumés coupables sont des colons. L’ONG israélienne Yesh Din affirme que 85% des enquêtes concernant des attaques menées par des colons sont closes du fait du manque d’efficacité de la police palestinienne (9). Pour la population palestinienne, la coopération sécuritaire entretient un lien de subordination des Palestiniens face à Israël. Ils considèrent que cette collaboration favorise la politique de colonisation et les intérêts d’Israël. En juin 2014, les forces palestiniennes avaient été critiquées pour leur participation à une opération israélienne de grande ampleur qui avait pour but de retrouver trois colons kidnappés en Cisjordanie. Cette opération avait abouti à plusieurs centaines d’arrestations côté palestinien. Plus tard, lors de la guerre de Gaza à l’été 2014, l’Autorité palestinienne a été accusée d’étouffer les contestations palestiniennes qui appelaient à la fin de l’opération israélienne à Gaza.

Les critiques se sont particulièrement manifestées en décembre 2014. Le 10 décembre, Ziad Abou Ein, ministre palestinien en charge du dossier de la colonisation auprès de l’Autorité palestinienne, décède suite à une altercation entre manifestants palestiniens et armée israélienne. Le lendemain, des milliers de Palestiniens se rendent à ses funérailles dans un climat de tension. Face aux critiques, Mahmoud Abbas annonce alors que les options sont « ouvertes » pour un gel de la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne. Malgré ces menaces répétées, le Président de l’Autorité palestinienne a maintenu la coopération.

En mars derniers, plusieurs manifestations sont organisées en Cisjordanie pour appeler à la fin de la coopération sécuritaire. Quelques jours auparavant, Bassel Al-Aaraj est assassiné par l’armée israélienne. Il avait été par le passé emprisonné par la police palestinienne. Les manifestants accusent l’Autorité palestinienne de l’avoir livré aux Israéliens et dénoncent un mécanisme qui favorise Israël et sa politique de colonisation (10). L’Autorité palestinienne est aussi accusée d’abuser de ses prérogatives définies par la coopération sécuritaires. L’ONG Euro-Mediterranean Human Rights Monitor a recensé 2363 incidents au cours de détentions administratives dans les prisons palestiniennes. D’autres organisations font état de cas de torture et de mauvais traitements. La coopération sécuritaire est régulièrement critiquée par le Hamas et le Djihad islamique. En Juillet 2015, suite à une vague d’arrestation incluant un nombre important de membres du Hamas, Abou Zuhri, Porte-Parole du parti, déclare à Al-Jazeera : « Ces arrestations font partie de la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne » (11). L’Autorité palestinienne est régulièrement accusée de se servir de ses prérogatives sécuritaires à l’encontre d’opposants politiques palestiniens, afin de « prévenir tout soulèvement en Cisjordanie qui pourrait se retourner contre l’Autorité » (12) et ainsi, renforcer son assise politique sur le territoire.

Conclusion

Les Accords d’Oslo amorcés en 1993 débutent une nouvelle phase pour les relations entre Palestiniens et Israéliens. L’Etat d’Israël ouvre la voix vers la création d’un Etat palestinien. En échange, les Palestiniens participent à la sécurité d’Israël à travers la coopération sécuritaire. Presque 25 ans plus tard, l’Etat palestinien n’a pas vu le jour, mais la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne est fonctionnelle, malgré un arrêt durant la seconde Intifada. Cette coopération pour la sécurité aurait permis de déjouer de nombreux attentats. Cependant, sans Etat palestinien et avec l’augmentation du nombre de colons en Cisjordanie, la population palestinienne a le sentiment que le contrat politique passé à Oslo n’a pas été respecté du côté de l’Etat hébreu. Ils considèrent aussi que la coopération sécuritaire ne profite pas à leur propre sécurité. En mars dernier, les manifestations organisées en Cisjordanie appelant à l’arrêt de la coopération sécuritaire. Des critiques qui prennent un fort écho, à l’heure où l’autorité du Président Abbas est fortement remise en question et que la Cisjordanie traverse une période de grande violence depuis l’automne 2015, l’Intifada des couteaux.

Notes :
(1) VLAHOVIC Marine, « Israël, Palestine : Une coopération sécuritaire contestée », RFI, Le 14 mars 2017, (en ligne), URL : http://www.rfi.fr/emission/20170314-israel-palestine-manifestations-cooperation-securitaire-contestee
(2) LEGRAIN Jean-François, “Retour sur les accords israélo-palestiniens (1993-2000)”, Monde Arabe Maghreb Machrek, N°170, oct-déc. 2000, URL : http://iremam.cnrs.fr/legrain/maghmach_2000.pdf
(3) LEGRAIN Jean-François, “Retour sur les accords israélo-palestiniens (1993-2000)”, Monde Arabe Maghreb Machrek, N°170, oct-déc. 2000, URL : http://iremam.cnrs.fr/legrain/maghmach_2000.pdf
(4) SALLON Hélène, « La coopération sécuritaire entre l’autorité palestinienne et Israël sur la sellette », Le Monde, le 12 décembre 2014, (en ligne), URL : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/12/12/la-cooperation-securitaire-entre-l-autorite-palestinienne-et-israel-sur-la-sellette_4539768_3218.html
(5) LISIECKA Julia, « Israeli-palestinian security cooperation : What next ? », European Union Institute for Security Studies, mai 2017, (en ligne), URL : http://iremam.cnrs.fr/legrain/maghmach_2000.pdf
(6) DAKHLI Leyla, Histoire du Proche-Orient contemporain, La Découverte, mai 2015.
(7) SALLON Hélène, « La coopération sécuritaire entre l’autorité palestinienne et Israël sur la sellette », Le Monde, le 12 décembre 2014, (en ligne), URL : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/12/12/la-cooperation-securitaire-entre-l-autorite-palestinienne-et-israel-sur-la-sellette_4539768_3218.html
(8) SMOLAR Piotr, « L’affaiblissement de Mahmoud Abbas aiguise les ambitions palestiniennes », Le Monde, Le 27 janvier 2016, (en ligne), URL : http://lemonde.fr
(9) « Data sheet october 2015 : Law enforcement on Israeli citizens who harm palestinians and their propriety in the est Bank », Yesh Din, Le 27 octobre 2015, URL : http://www.yesh-din.org/en/data-sheet-may-2015-prosecution-of-israeli-civilians-suspected-of-harming-palestinians-in-the-west-bank/
(10) VLAHOVIC Marine, « Israël, Palestine : Une coopération sécuritaire contestée », RFI, Le 14 mars 2017, (en ligne), URL : http://www.rfi.fr/emission/20170314-israel-palestine-manifestations-cooperation-securitaire-contestee
(11) « Hamas members arrested in West Bank crackdown », Al Jazeera, Le 4 juillet 2015, (en ligne), URL : http://www.aljazeera.com/news/2015/07/pa-arrests-scores-hamas-members-west-bank-150704070359333.html
(12) SALLON Hélène, « La coopération sécuritaire entre l’autorité palestinienne et Israël sur la sellette », Le Monde, le 12 décembre 2014, (en ligne), URL : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/12/12/la-cooperation-securitaire-entre-l-autorite-palestinienne-et-israel-sur-la-sellette_4539768_3218.html

Publié le 30/06/2017


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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