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Par Lisa Romeo
Publié le 05/12/2011 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 4 minutes

Les rescrits impériaux de 1839 et de 1856

Cette ère de réorganisation débute avec l’arrivée au pouvoir du sultan Abdul Madjîd 1er (1839-1861) en 1939 même si certains signes annonciateurs étaient déjà perceptibles sous les règnes de Sêlim III (1789-1807) et de Mahmûd II (1808-1839). Le 3 novembre 1839, le rescrit impérial de Gülhâne est promulgué et annonce les nouvelles résolutions de l’Empire. Cet édit est surtout l’œuvre des réformateurs de la classe dirigeante soucieuse d’obtenir la sécurité des personnes et de leurs biens et de ne plus être soumis à l’arbitraire des sultans.

En 1835, ils étaient déjà parvenus à remplacer le terme de « serviteur du sultan » par celui de « fonctionnaire » et cherchent dorénavant à institutionnaliser un Etat de droit avec un régime économique libéral. Ces réformateurs ont reçu une éducation religieuse traditionnelle mais ont aussi, pour la plupart d’entre eux, accumulé au cours de leur carrière politique une excellente connaissance des coutumes européennes. Certains se sont même rendus en Europe en tant qu’ambassadeurs. Ils sont alors persuadés que le salut de l’Empire ne peut se trouver que dans une ouverture à l’Europe et comprennent, en outre, que pour être acceptées, ces nouvelles mesures venues d’Occident doivent s’ancrer dans la culture et les valeurs traditionnelles ottomanes. C’est donc graduellement que va être instauré un nouveau système administratif, juridique et militaire plus moderne et censé rendre à l’Empire sa grandeur passée. Un second rescrit impérial en 1856, le hatt-i hümayûn, réaffirme et prolonge ensuite ces principes.

Les réformes de Tanzimat

L’Etat ottoman va être ainsi progressivement remodelé pendant plusieurs décennies. Des mesures sont tout d’abord prises pour établir un budget annuel et former une série de ministères. Suivant le modèle bureaucratique européen, notamment français, chaque ministère se divise en départements, bureaux et conseils avec des responsabilités précises. Un Conseil d’Etat est créé. L’administration provinciale est également réorganisée. La loi des vilayets de 1864, par exemple, instaure un système similaire à l’organisation départementale française.

La période des Tanzimat est, par ailleurs, marquée par la volonté d’unifier le droit et la justice à l’ensemble des citoyens. L’égalité de tous les Ottomans devant la loi quelque soit leur appartenance confessionnelle et ethnique est proclamée dans l’édit de Gülhâne. En 1856, les droits religieux, culturels et politiques (avec possibilité d’accéder aux plus hautes instances étatiques et attribution de quota dans les assemblées locales consultatives…) des minorités sont reconnus et valorisés.
A partir de 1840, de nombreux codes sont rédigés : le Code pénal (1840 puis révisé en 1858), le Code commercial (1850, révisé en 1861), le Code de commerce maritime (1863), le Code agraire en 1858 qui pose le problème de la propriété foncière, définit ses différents types et enregistre les biens dans une volonté de valoriser les terres peu exploitées… Des nouveaux tribunaux de commerce et d’arrondissement, des cours d’appel des chefs-lieux des provinces sont constitués dans l’ensemble des territoires. Si ces mesures s’inspirent fortement des valeurs occidentales, les réformateurs prennent le soin de les établir en se basant sur les principes des écoles juridiques sunnites officielles afin de les rendre plus acceptables dans les milieux plus traditionnalistes.

Avec ces mesures, l’Etat a fortement besoin d’employer de nouveaux fonctionnaires. Les réformateurs décident alors un vaste programme de sécularisation de l’éducation en établissant des écoles d’Etat ouvertes à tous les Ottomans. Cette démarche démontre une volonté de former des individus plus détachés des préceptes religieux et ainsi plus aptes à se tourner vers la modernité. Une Ecole de l’administration est créée en 1859. La portée est toutefois assez limitée et les établissements islamiques traditionnels restent largement majoritaires et continuent de gérer entièrement l’éducation primaire (école coranique).

Les minorités sont par ailleurs peu enclines à renoncer à leur système d’enseignement et bénéficient des systèmes éducatifs fondés par les missionnaires européens qui se multiplient. Des établissements spécialisés dans la formation des corps militaires se développent parallèlement. L’armée est en effet une priorité compte tenu des menaces qui pèsent sur l’Empire tout au long du XIXème siècle.

Les effets des réformes

En quelques décennies, la société ottomane se transforme donc fortement. A partir de 1850, les effets des Tanzimat sont incontestables même si les résultats diffèrent selon les régions, entre le monde urbain et rural. Les provinces arabes se montrent plus réticentes devant les évolutions du droit coutumier et refusent de renoncer à un ordre sociétal millénaire. Finalement, les mesures prises pour unifier les Ottomans, les minorités tendent paradoxalement à affirmer leur particularisme et leur nationalité plutôt que leur ottomanisme.

Par ailleurs, la prolifération des publications officielles favorise le développement de l’imprimerie dans l’Empire. A partir de 1850, de nombreuses maisons d’éditions et une nouvelle presse d’opinion émergent et propagent les idées occidentales stimulant ainsi les débats.

En 1876, la promulgation de la Constitution, puis la réunion du premier Parlement ottoman marquent le point culminant des Tanzimat. La guerre contre la Russie et le Congrès de Berlin de 1878 convainc finalement le sultan Abdul Hamid II (1876-1909) de rétablir un régime autoritaire. Le sultan, qui admettait deux ans auparavant la Constitution, préfère dorénavant la suspendre et se débarrasser des libéraux. Ainsi clôt-il la période des Tanzimat.

Force est de constater que malgré les tentatives de sauver et d’unir l’Empire, les réformateurs des Tanzimat ne peuvent empêcher l’émergence des idées nationalistes et les mouvements autonomistes ainsi que la diffusion des capitulations et l’ingérence croissante des puissances dans les affaires de l’Etat jusqu’à son éclatement final au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Bibliographie :
 Henry Laurens, L’Orient arabe : arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Paris, Armand Colin, 2002.
 Robert Mantran (dir.), Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 2010.

Publié le 05/12/2011


Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.


 


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