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Une brève histoire de Damas au Moyen Âge

Par Elodie Vigouroux
Publié le 30/09/2015 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Syria, Damascus, Omeyyades Mosque.

SEUX PAULE / HEMIS.FR / AFP

Fondée au pied du Mont Qassiun, au cœur d’une oasis, la Ghuta, arrosée par la rivière Barada, Damas constitue, durant l’Antiquité, une étape incontournable pour les caravanes marchandes, parcourant les déserts alentours (1). Modeste ville byzantine conquise par les troupes musulmanes en 634, elle devient, vingt ans plus tard et pour un siècle, la capitale et le centre économique du plus vaste empire que le monde ait connu, celui des Omeyyades qui érigent sa superbe mosquée. L’avènement des Abbassides, à partir de 750, relègue pourtant Damas au rang de cité de province, dans l’ombre de Bagdad et inaugure une période d’instabilité politique, ne favorisant ni son développement, ni son activité économique et artisanale. En 970, la prise de la ville par les Fatimides la place sous l’autorité du Caire. Damas est alors secouée par des troubles nés de l’opposition de la population à ce nouveau pouvoir chiite, jusqu’à ce qu’en 1076, Atsiz, un chef turc au service des Fatimides s’empare de la ville en son nom propre. Face à la menace fatimide, il la dote d’une citadelle et fait appel au sultan seldjoukide, Malik Shah. Le souverain confie alors la cité à son frère Tutush, le pouvoir étant réellement aux mains de l’homme de confiance Tughtakin dont les héritiers, les Bourides, règneront jusqu’en 1154 (2). A cette date, la ville est conquise par le prince Nur al-Din, fils de l’émir Imad al-Din Zanki, atabek (chef des armées) de Mossoul et d’Alep.

Damas retrouve alors un statut de capitale, et devient pour longtemps, à la fois une base arrière du mouvement de contre-croisade et le centre du renouveau sunnite. Nur al-Din y installe sa cour et ses troupes, la ville est alors un important centre de production d’armes, ainsi qu’un marché pour les objets de luxe destinés aux émirs et à leur entourage. Nur al-Din restaure les fortifications, aménage la citadelle, bâtit un palais de justice, crée des hippodromes consacrés à l’entraînement des armées (Midan al-Akhdar et Midan al-Hasa). Il fait également construire des madrasas destinées à la diffusion et l’affermissement du Sunnisme ainsi qu’un hôpital (maristan), un hammam et sa madrasa funéraire, encore visibles nos jours (3). Le climat de stabilité favorise les affaires et des caravansérails et des halles sont alors construits, intra et extra muros la ville. En effet, gonflée d’une population de soldats, d’oulémas, d’artisans et de commerçants, Damas déborde de son enceinte. De nouveaux faubourgs commencent à se développer hors de ses portes (al-‘Uqayba, al-Shaghur, Qasr al-Hajjaj). Par ailleurs, un nouveau quartier, al-Salihiyya, naît sur les pentes du Mont Qassiun, à la faveur de l’installation de réfugiés en provenance de Palestine, occupée par les croisés.

Après la mort de Nur al-Din, Saladin, ancien émir kurde de l’armée zankide, devenu vizir puis maître de l’Egypte dès 1169, fait son entrée dans la ville en 1176. Si le Caire demeure la capitale, Damas du fait de sa situation stratégique, constitue un bastion face à la menace croisée et son contrôle est essentiel. Saladin, fondateur de la dynastie ayyoubide y décède, il est inhumé en 1193, près de la Mosquée des Omeyyades dans la Madrasa al-‘Aziziyya où son mausolée existe toujours. Si au Caire le fils du sultan défunt monte sur le trône, en Syrie, son frère et ses fils se disputent la possession de Damas. C’est à cette époque que la citadelle que nous voyons actuellement à l’angle nord-ouest de l’enceinte fortifiée est construite par le sultan al-‘Adil, frère de Saladin qui est inhumé 1218, non loin de là, dans sa madrasa funéraire. Malgré les tensions, la ville est florissante au cours du XIIIe siècle, elle devient un centre intellectuel et commercial de première importance (4). La cour princière constitue une clientèle de choix pour les artisans et Damas est non seulement un lieu de production d’artisanat de luxe, mais également une plaque tournante des épices et tissus précieux venus d’Orient, notamment par le biais de la caravane du Hajj. En effet, en dépit du contexte de croisade, les relations commerciales reprennent progressivement entre la Syrie intérieure et l’Europe.

Au milieu du XIIIe siècle, des divisions règnent encore au sein de la famille ayyoubide. Conséquence d’un manque de cohésion des Ayyoubides face aux menaces - Damas est assiégée et occupée par les Mongols en 1260 -, les Mamelouks, esclaves-soldats turcs originaires d’Asie Centrale, s’emparent du pouvoir au Caire. La ville devient capitale de la province de Syrie, un vice-sultan est placé à sa tête. Le souverain, al-Zahir Baybars, comme Nur al-Din et Saladin avant lui, aspire à chasser les croisés hors de Syrie. Damas étant alors le lieu de cantonnement de ses troupes, il y séjourne fréquemment et s’y fait construire un splendide palais, le Qasr al-Ablaq, participant ainsi à l’essor du faubourg ouest. C’est aussi à Damas qu’il meurt en 1276 et qu’il est inhumé dans la Madrasa al-Zahiriyya, qui s’élève, elle aussi, à proximité de la Mosquée des Omeyyades. Son successeur al-Mansur Qalawun et après lui, ses héritiers, poursuivent son œuvre. En 1291, l’un de ses fils, le sultan al-Ashraf Khalil s’empare d’Acre, mettant un terme à l’existence du royaume latin de Jérusalem.

La menace mongole ressurgit et en 1300 Damas est à nouveau occupée. La ville renaîtra de ses cendres notamment grâce à son vice-roi, l’émir Tankiz al-Nasiri. Ce dernier fait restaurer la Mosquée des Omeyyades et ses remarquables mosaïques et rénove les marchés endommagés. Dans les souks proches de la mosquée se concentrent les marchandises les plus précieuses. Les artisans de Damas fabriquent à cette époque notamment des étoffes et des armes d’une qualité unique, de la vaisselle de verre émaillé et doré et des objets en cuivre incrusté d’or et d’argent, très prisés parmi les élites mameloukes et européennes. Les faubourgs de la ville se développent encore, accueillant de nouvelles mosquées ainsi que des infrastructures commerciales, notamment au nord-ouest de la citadelle, dans le quartier de Saruja et au sud, près du Midan al-Hasa (Hippodrome des Cailloux), le long de la route empruntée par la caravane du pèlerinage vers La Mecque. Le milieu du XIVe siècle est marqué par la Grande Peste qui ravage la Syrie, y entraînant une crise démographique et économique. Toutefois, dans les décennies suivantes, la production artisanale est toujours vivace à Damas et de nouveaux marchés s’ouvrent aux productions syriennes. La présence de marchands italiens, désormais installés au cœur même de la ville, favorise les échanges, et permet notamment aux produits damascènes de parvenir jusqu’aux cours européennes.

Durant l’époque mamelouke, en tant que deuxième ville du sultanat, Damas constitue une marche vers le pouvoir dans un système où, théoriquement, sa transmission n’est pas héréditaire. Ses vice-sultans se rebellent régulièrement, espérant ainsi accéder au trône. La ville devient le théâtre d’une véritable guerre civile à la fin du XIVe siècle, mettant un terme à la succession des descendants d’al-Mansur Qalawun. Damas conserve encore les séquelles de ce conflit quand à nouveau, les Mongols l’assiègent pour la troisième fois en moins d’un siècle et demi. La menace est alors incarnée par le chef tatar Tamerlan qui, l’ayant occupée pendant trois mois va, en mars 1401, piller et incendier Damas, et capturer ses maîtres-artisans.

Entravée par l’instabilité nées des rivalités opposant les émirs, la reconstruction de la ville ne s’amorce réellement que dans les années 1415-20 et ce grâce à l’engagement personnel du sultan mamelouk al-Mu’ayyad Shaykh qui, à son tour, restaure la Mosquée des Omeyyades et les marchés afin de redonner à Damas sa place dans le commerce international (5). Malgré les conséquences de l’invasion tatare, une fois encore la cité marchande se relève, se développe. Elle se dote de caravansérails et de mosquées nouvelles. Si sa capacité de production a baissé en raison de la crise économique, de la déportation des ouvriers et des massacres, Damas conserve néanmoins des artisans qualifiés qui doivent faire face à une concurrence européenne effrénée. Dans la seconde moitié du XVe siècle, elle perd une partie de son volume d’échange au profit d’Alep qui, plus proche du marché ottoman, est en plein essor. La pression des Ottomans sur sa frontière nord, va conduire le sultanat mamelouk à engager des troupes, toujours plus coûteuses, mettant ainsi en péril sa propre stabilité. A Damas, la fin du XVe siècle est une période d’insécurité qui ne favorise pas les investissements. Toutefois, en 1515, une dernière grande mosquée mamelouke est inaugurée. Elle avait été fondée par le vice-sultan, Sibay qui disparaît peu après, au cours de la bataille de Marj Dabiq, victoire ottomane qui scelle le sort du sultanat mamelouk. Le sultan Selim 1er entre à Damas en octobre 1516.

Notes :

(1) Sur l’histoire antique de Damas voir notamment Sauvaget, Jean, « Esquisse d’une histoire de la ville de Damas », Revue des Etudes Islamiques 8, 1934, p. 430-442. Pour un panorama de l’histoire de Damas jusqu’au XVIe siècle, voir Degeorge, Gérard, Damas des origines aux Mamluks, coll. Comprendre le Moyen-Orient, Paris, L’Harmattan, 1997.

(2) Concernant cette période voir Mouton, Jean-Michel, Damas et sa principauté sous les Saljoukides et les Bourides (468/549-1076-1154), Le Caire, Institut français d’archéologie orientale.

(3) Sur son rôle dans la promotion du Sunnisme et son activité édilitaire voir Élisséeff, Nikita, Nūr al-Dīn. Un grand prince musulman de Syrie au temps des Croisades (511-569 H./1118-1174), Damas, Institut Français de Damas, 1967. http://books.openedition.org/ifpo/6417?lang=fr

(4) Voir Humphreys, Stephen R., From Saladin to the Mongols : The Ayyubids of Damascus, 1193-1260, Albany, State University of New York Press, 1977.

(5) Voir Vigouroux Elodie, « La Mosquée des Omeyyades de Damas après Tamerlan : chronique d’une renaissance (803/1401-833/1430) », Bulletin d’Études Orientales 61, p. 123-159. www.cairn.info/revue-bulletin-d-etudes-orientales-2012-2-page-123.htm

Publié le 30/09/2015


Elodie Vigouroux est chercheuse à l’Institut Français du Proche-Orient à Beyrouth (UMIFRE 6 - USR 3135). Historienne et archéologue, elle est spécialiste du Proche-Orient médiéval.


 


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