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Entretien avec Yara El Khoury – Le Hezbollah dans le contexte des attaques du Hamas

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Yara El Khoury
Publié le 14/10/2023 • modifié le 15/10/2023 • Durée de lecture : 8 minutes

Crédits photo : The Palestinian flag and the flag of Hezbollah wave in the wind on a pole as Lebanese army soldiers patrol the border area between Lebanon and Israel on Hamames hill in the Khiyam area of southern Lebanon, on October 13, 2023.
Joseph EID / AFP

Quelles ont été les réactions du Hezbollah aux attaques du 7 octobre ?


Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah ne s’est pas encore exprimé publiquement. Il n’a pas encore fait son intervention télévisée habituelle, sorte de rituel que les Libanais et les observateurs de la vie politique au Moyen-Orient suivent avec intérêt. Les occasions sont très nombreuses au cours desquelles il apparaît à la télévision, de là où il vit, caché dans un souterrain que nul ne connaît, et dans lequel tout un décorum lui permet de parler à la télévision, à l’occasion de la commémoration d’un martyr ou toute autre célébration parmi celles qui scandent les rites du Hezbollah. Ses proches collaborateurs se sont exprimés en revanche très rapidement pour saluer l’opération menée par le Hamas.

Pour le moment donc, et alors que les événements ont commencé depuis une semaine, il n’y a pas encore eu de réaction officielle du secrétaire général du Hezbollah. Cela pourrait peut-être indiquer que le Hezbollah n’est pas si confiant qu’il le laisse croire, car il est face à une situation dans laquelle il est acculé à faire quelque chose pour rester en cohérence avec son message, mais, en même temps, cela est extrêmement compliqué, car il risque de s’attirer une réponse sur son mouvement et sur le Sud-Liban, voire sur le Liban tout entier comme en 2006. Or le Liban, plongé dans une crise sans précédent, est plus que jamais incapable de supporter à nouveau des frappes israéliennes. S’il venait à s’exprimer, Hassan Nasrallah serait très vraisemblablement amené à annoncer une riposte effective, à donner le signal de l’opération dont il a maintes fois menacé Israël, or il semblerait qu’il hésite encore. Le Hezbollah paraît faire face à une situation très délicate.

Des opérations ciblées ont été effectuées dans la zone frontalière et sur le nord d’Israël, sur les fermes de Chebaa. Elles ont provoqué des frappes israéliennes, le Hezbollah a annoncé le « martyre » d’un certain nombre de combattants, mais cela semble rester circonscrit dans les limites d’un conflit de faible intensité. A un moment donné, dimanche 8 octobre au soir, on a eu l’impression que l’on allait glisser dans la guerre. Un vent de panique s’est levé parmi la population du sud Liban : les habitants ont commencé à partir avec leurs affaires par l’autoroute côtière menant à Beyrouth, retrouvant de vieux réflexes. L’exode de la population du sud a failli commencer, et les écoles ont été fermées lundi 9 octobre. Puis, le calme est revenu, et les établissements scolaires et universitaires ont réouvert depuis. Pour l’heure, à part des incidents qui se produisent par à-coups, la situation est presque normale dans le sud du Liban, et tout à fait normale dans le reste du Liban où les gens continuent de vivre tout en étant aux aguets.

Quelles sont les relations entretenues entre le Hezbollah et le Hamas ?

Elles sont présentées comme étant très solides et durables, les deux mouvements étant unis dans le même axe, celui de la Moumana’a (l’axe du refus), qui continue de véhiculer les « non » opposés à Israël lors de la conférence de Kartoum qui a suivi la défaite arabe de 1967. A la tête de cet axe se trouve la République islamique d’Iran qui, bien que n’ayant pas de frontière directe avec Israël, a inscrit l’animosité à l’encontre de l’État d’Israël dans la doxa du régime. L’hostilité à l’égard d’Israël figure en bonne place parmi les constantes qui construisent l’approche iranienne des relations internationales et la politique étrangère de Téhéran.

La cause palestinienne est considérée par l’Iran comme une cause islamique, et non pas arabe ; c’est la grande cause de l’Islam pour laquelle la République islamique d’Iran doit se battre, d’où les cris d’hostilité à l’encontre Israël, et des slogans comme celui de rayer Israël de la carte par exemple, ce qui n’arrange pas les relations que l’Iran pourrait avoir avec notamment les Etats-Unis et l’Europe. Ceci dit, ce n’est pas l’armée iranienne qui mène le combat, car cette armée ne s’est plus battue hors de ses frontières de la fin du conflit avec l’Irak en 1989. La tâche est quasiment sous-traitée à des agents qui se trouvent être aux avant-postes de la lutte, le Hezbollah et le Hamas notamment. Le fait que le premier soit chiite et le second sunnite n’entrave pas la connivence de fait établie entre eux.

Des contacts entre les responsables du Hezbollah et le Hamas ont lieu en général au Liban, dans le cadre de visites de courtoisie et des discussions politiques communes que des responsables du Hamas effectuent dans ce pays. Les deux parties ont également eu à se concerter récemment au sujet de troubles qui se sont produits durant les dernières semaines dans un camp palestinien du Sud-Liban en bordure de la ville de Saïda, afin que le calme revienne entre les composantes palestiniennes qui se faisaient la guerre dans ce camp. Le Hezbollah a multiplié les contacts et usé de son influence, dans le contexte de ses bonnes relations avec le Hamas, pour apaiser ces tensions.

Les relations sont donc bonnes. Mais de là à dire que le Hezbollah était au courant de ces opérations, il y a un pas que je ne me risquerais pas à franchir. Le jour même et le lendemain de l’offensive, des articles dans la presse libanaise sont parus, qui soudainement ont cru savoir que l’opération avait été planifiée au Liban, et ont forgé tout un scénario, véridique selon les auteurs des articles, que tout ceci a été préparé au Liban, au vu et su de tous, au moment des visites médiatisées que des responsables du Hamas ont effectuées à Beyrouth au cours des derniers mois. Le Hezbollah savait-il et connaissait-il les moindres secrets des préparatifs de l’opération ? Je ne sais pas. Même les services de renseignement israéliens ne savaient pas. Même l’Iran, dans une déclaration officielle, a dit ne pas avoir participé à la préparation de cette opération, n’a pas assumé une responsabilité quelconque et n’a pas revendiqué une part qu’il aurait pu prendre dans la préparation de l’opération du Hamas, alors qu’une telle revendication pourrait apparaître pour l’Iran comme un titre de gloire.

Il semble que, pour le moment, le Hezbollah soit dans une attitude de retenue. Pour quelles raisons, aussi bien de politique interne qu’en lien avec Israël ? Quels éléments pourraient faire évoluer ce positionnement actuel, en particulier si Israël lance une éventuelle attaque militaire sur la bande de Gaza ?

Le Hezbollah est calme pour le moment et se tient dans une forme d’attentisme, même si ses services sont en état d’alerte maximale, et suivent de près l’évolution sur le terrain. La prudence est de mise, en lien avec la politique interne libanaise, et avec Israël. Le Hezbollah prendra-t-il la responsabilité d’entraîner le Liban dans une guerre, qui pourrait-être une répétition d’une guerre encore plus violente qu’à l’été 2006 ? Telle est la grande inconnue. Qu’est-ce qui va faire que la position du Hezbollah pourrait évoluer ? Cela serait certainement l’ampleur des actions qui se produisent en ce moment dans la bande de Gaza. Face à ces actes, le Hezbollah va-t-il rester longtemps dans l’attente pendant que des Palestiniens sont tués à Gaza ? L’annonce par le gouvernement israélien qui intime l’ordre à la population palestinienne de quitter les quartiers nord de Gaza dans les 24 heures, en prévision d’une opération militaire, va-t-elle avoir des conséquences sur le Hezbollah ? Le monde arabe reste étonnement calme actuellement, même si on aurait pu s’attendre à des réactions plus émotives. C’est plutôt la retenue dans la population pour le moment aussi bien à Beyrouth, qu’au Caire et qu’à Damas.

Hier seulement, vendredi 13 octobre, on a vu des manifestations d’une certaine ampleur dans les pays arabes sunnites, mais elles se sont quand même produites au septième jour, ce qui est tout sauf un indicateur de spontanéité, ou alors une sorte de sas de décompression, les autocrates régnant sur ses pays ayant jugé utile d’entrouvrir un espace où la colère populaire pourrait s’exprimer afin de prévenir des risques de dérapage. De même, dans la banlieue Sud, le fief du Hezbollah, il y a là des groupes qui manifestent sur commande. La "rue sunnite" libanaise, traditionnelle alliée de la cause palestinienne, est très calme. Les grandes villes sunnites du Liban ont été le théâtre de rassemblements de peu d’importance, comme ce qui s’est produit devant un MacDonald de Beyrouth, l’enseigne étant soupçonné de connivence avec Israël. Comme cela a été observé lors des « printemps arabes » de 2011, la cause palestinienne ne soulève plus les foules dans le monde arabe. Des populations ployant sous le poids des crises et privées de leurs droits les plus élémentaires ont presque perdu toute capacité d’indignation.

La situation est très délicate pour toutes les parties. Le gouvernement Netanyahu, une fois que tout ceci aura pris fin, devra rendre des comptes douloureux à la population israélienne. La survie politique du Premier ministre israélien est en jeu. Il est maintenant face à des choix terribles, car bombarder Gaza peut également signifier la mort des otages israéliens et étrangers. Quant au Hamas, le temps ne joue pas en sa faveur. Il a pu produire un effet de surprise, mais ses ressources ne suffisent certainement pas à tenir face à la machine de guerre israélienne, l’une des plus sophistiquées au monde. Le Hamas prend également en otage la population de Gaza, mais également celles de Cisjordanie, et aussi la population libanaise qui devra encore payer un prix très lourd si le Hezbollah venait à se mobiliser et à ouvrir le front au nord d’Israël. En réalité, aucune partie n’a donc intérêt à laisser traîner cette situation. Mais, ceci étant dit, l’issue ne paraît pas claire pour l’instant.

Des pays tiers proposent leurs services pour hâter un dénouement. L’Arabie saoudite a sans doute compris que l’opération du Hamas la vise directement, car le processus de « normalisation » avec Israël engagé par Mohammed Ben Salmane n’offre rien aux Palestiniens qui voient des États arabes majeurs faire le choix de la reconnaissance d’Israël alors que, eux, les principaux concernés, sont pris au piège d’une situation inextricable. Une négociation, si elle devait se faire, doit englober des pays tiers qui auraient l’assentiment des deux parties. Car il va bien falloir négocier avec le Hamas, cela reste moins coûteux en vie humaines que de tenter de l’éradiquer. S’il y a un enseignement à tirer du conflit israélo-arabe, c’est qu’aucune partie n’est en mesure d’annihiler l’autre. A un moment donné, il va falloir se parler. Sadate l’avait compris, le roi Hussein de Jordanie aussi, les dirigeants actuels du Golfe aussi.

Le tragique de la situation réside dans la fragilité des parties directement concernées, à savoir Israël et les Palestiniens. En effet, le gouvernement Netanyahu est lui-même fragilisé, et en proie à une vaste crise de politique. On se souvient ces dernières années des consultations électorales qui n’arrivaient pas à produire de majorité parlementaire claire en Israël et des récentes polémiques autour d’une réforme de la justice qui a fracturé la population israélienne. Quant à l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, un homme très âgé et déconnecté des réalités, elle est également dans une impasse totale, avec ce président à vie, qui vieillit au pouvoir et n’a plus de prise sur les événements. Qui donc pourrait négocier ? Et pour faire quoi ? Pour parler à nouveau des mêmes questions insolubles au sujet du statut de Jérusalem et de la solution à deux États ? Cette dernière paraît être de plus en plus une chimère, en raison notamment des projets extensifs de colonisation menés par Israël qui ont eu pour effet de désarticuler le territoire de la Cisjordanie.

Rien ne peut justifier l’opération du Hamas, mais si le monde est ému actuellement à l’idée que des civils innocents sont retenus en otages à Gaza, il convient de rappeler que des populations palestiniennes se trouvent également prises en otages depuis trop longtemps dans des camps à travers le monde arabe, véritables prisons à ciel ouvert où des enfants privés d’avenir grandissent. Plus que jamais, nous sommes confrontés au déchaînement des passions que suscitent la question palestinienne et le conflit israélo-arabe, ce vaste drame humain que nourrissent des mémoires extrêmement douloureuses de part et autre.

Publié le 14/10/2023


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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